mercredi 22 juin 2011

Vladan Matijević, Les Aventures illustrées de Minette Accentiévitch

Fornico ergo sum
Éric Bonnargent
La Serbie est devenue le pays de l’absurde. Ses écrivains, tels que David Albahari ou Svetislav Basara, font preuve en ce domaine d’une rare inventivité, à croire que le principe de contradiction est leur principal adversaire. Bien qu’il soit un auteur reconnu, lauréat de plusieurs prix littéraires dans son pays, on ne sait pas grand-chose de Vladan Matijević, si ce n’est qu’il est né en 1962. Il faut dire que Matijević est un auteur discret. À un éditeur qui lui demandait quelques précisions biographiques, il aurait répondu :

« Le fait est que je ne suis pas sociable, mais taciturne, timide, asocial. J’ai une vie d’écrivain moyenâgeux. J’habite une petite ville de province et qui plus est à sa périphérie. J’écris au stylo et ce n’est qu’une fois le texte achevé que je le tape sur ordinateur. Je n’ai pas de télé, j’écoute rarement les nouvelles à la radio et lis rarement les journaux. […]. Je tâche d’écrire le moins possible. »

Deux livres de Matijević ont été publiés aux Allusifs : Les Aventures de Minette Accentiévitch en juin 2007 et Le Baisespoir du jeune Arnold en octobre 2009. Ce dernier est un drôle de roman dont l’histoire délirante est racontée à rebours. Quant aux Aventures de Minette Accentiévitch, il s’agit d’un court roman érotique, mais pas, seulement. Comme le sous-titre l’indique, il s’agit en réalité d’un roman de chevalerie. À strictement parler, un roman de chevalerie raconte les aventures d’un chevalier cherchant à gagner l’amour d’une dame. Le Don Quichotte de Cervantès est une parodie du genre, l’homme de la Mancha, ce rêveur fou, cherchant à séduire une Dulcinée qui n’existe pas ou du moins qui n’a rien à voir avec la vraie. Minette Accentiévitch est aussi une rêveuse poursuivant une quête, une quête du plaisir et pour cela elle est prête à donner son corps à tous les hommes qui en voudront bien, à tous ces hommes qu’elle croit toujours sublimes et qui ne s’avèrent être que des minables. Notons que Don Quichotte est le seul livre que Minette aie lu, même si elle ne l’a jamais terminé ; elle a trop de choses à faire, Minette. C’est en de très courts chapitres (soixante-quinze) que Matijević relate les exploits de sa créature.
Il est d’ailleurs dommage que ce sous-titre si significatif ait disparu de la superbe réédition à tirage limité réalisée par Les Allusifs dans leur collection “Versant Visuel”. C’est le seul petit défaut de ce volume. Si les collections traditionnelles des Allusifs sont, on le sait, de qualité, l’ouvrage ici proposé est tout simplement exceptionnel. Il s’agit donc d’une édition brochée, d’un format de 18, 6 centimètres sur 26. Le texte est mis en valeur par un papier légèrement rosé (comme le sera votre visage en lisant les frasques de Minette), par un jeu sur les couleurs et les formats des polices de caractère et surtout, surtout par les illustrations de Gérard DuBois, un dessinateur français installé au Québec collaborant à de nombreux journaux et magazines (New York Times, Wall Street Journal, Washington Post, Le Monde, Playboy, etc.) et dont l’œuvre a été l’objet de plusieurs expositions aux Etats-Unis, au Canada et à Paris. Les illustrations permettent de saisir la confrontation du rêve et de la réalité qui jalonnent les aventures érotico-picaresques de Minette. Minette, à la fois Eve et Lilith, est parfaite ; elle est, nous dit l’auteur, une création de son imagination inventée pour rivaliser avec les autres minettes de la littérature : Lolita et ses consœurs. Minette, c’est la femme :
« Minette Accentiévitch a une tête, et tout ce qui va avec. Les yeux, la bouche, et ainsi de suite. Son corps est mince, élancé. Elle a de beaux seins fermes, ils pourraient être un peu plus gros, mais bon. Elle a des jambes longues et fines, des fesses superbes. Des parties génitales aussi, bien entendu, ainsi qu’un estomac, un foie… Elle a tout, Minette Accentiévitch, même un vide dans la cage thoracique, lequel bat comme une horloge, comme un cœur. »

Les Chiennes de garde détesteraient Minette car Minette est un fantasme masculin. Minette n’a pas un corps, elle est un corps, elle est la sensualité à l’état pur. Son cerveau ne lui sert guère que « lorsqu’il fallait décider quelle marque de cigarettes acheter ». Il y a deux choses que Minette aime faire dans la vie : fumer et baiser, baiser surtout. Point de cogito pour Minette qui ne découvre pas la certitude de son existence par l’exercice de sa pensée, mais par celui de son corps : fornico ergo sum pourrait être sa devise. D’ailleurs, dans son journal, elle déclare n’avoir pas baisé le 07 avril et elle en est anéantie. Minette est en quête d’absolu, elle est une idéaliste du sexe :

« Dès ses dix-huit ans, Minette Accentiévitch s’est taillé la réputation de la plus grande débauchée de la ville. Côté scandale et mauvaise presse, elle a surpassé toutes les femmes. Quoi que l’on racontât sur elle, on ne pouvait donner une juste image de son dévergondage, et aussi grand que fût le désir des gens de la noircir, ils n’y parvenaient pas car ils étaient incapables d’inventer quelque chose qu’elle n’avait déjà fait. »

Minette est par-delà le bien et le mal. C’est ce qui fait l’originalité du texte de Matijević. Il en rend compte par sa manière de raconter l’histoire qui, s’il n’était pas question de sexe, ressemblerait à un conte pour enfants. Les phrases sont simples et le ton innocent, sans le moindre soupçon de moraline. C’est d’ailleurs l’innocence qui caractérise Minette. Elle se donne sans arrière-pensée et si elle joue à se refuser à Popaul (sic) Tchoukavatz, ce n’est pas par méchanceté car elle n’a aucune notion du bien et du mal. Minette est tout au plus cruelle, cruelle comme peuvent l’être les enfants et les animaux : elle blesse sans volonté de blesser. Par exemple, elle n’imagine pas un instant qu’on puisse tomber amoureux d’elle et ne se rend absolument pas compte des tourments dans lesquels elle plonge le Dr Kostitch. Et lorsqu’elle apprend que son épouse est partie avec son fils à cause de ses frasques, « les dents de la conscience n’ont fait que glisser sur elle comme sur le corps lisse et dur d’une noisette. » Par contre, Minette est capable de tomber amoureuse. Elle aime Popaul et se désole presque de le tromper, mais comment résister à une proposition de partouze ou à un routier poilu ? Minette est insatiable et :

« Ses genoux sont écorchés, une douleur le taraude au bas des côtes, à droite, et il se demande si c’est le foie, le pancréas, l’appendice ou la vésicule. Sur son visage coulent des ruisseaux de sueur. Il a très mal à l’œil droit, un vaisseau a éclaté et des ramilles rouges étendent leur réseau sur le blanc de son œil. La tête lui tourne, il est au bord de l’évanouissement. Une crampe douloureuse lui mord le mollet de la jambe droite. Il a l’impression que sa colonne vertébrale va casser, ses mains tremblent, mais son braquemart raide ne perd point sa fermeté, comme s’il s’était changé en un morceau de bois. Qui sait combien de fois il a joui, et Minette plus encore, secouée sans cesse par des orgasmes à répétition, mais elle n’en a jamais assez, elle mouille toujours et, toujours excitée, lui enfonce les ongles dans le dos et ordonne : encore, encore, encore ! »


La quête de Minette est infinie car les hommes sont décevants par nature. Ce sont des organismes encore plus faciles à comprendre que « les amibes ». Ils ne veulent qu’une chose : la changer. Et de cela il n’en est pas question. Minette aimerait être aimée pour ce qu’elle est et s’il y a bien une chose qu’elle ne supporte pas, c’est qu’on lui fasse la morale :

« Quand elle lui a dit : je fume comme un pompier, je bois comme un trou et je baise comme une chienne en chaleur, si ça te plaît, ça va, sinon, va te faire foutre, Mirko Djordjévitch s’est brûlé le nez en allumant sa cigarette. »

L’amour qu’elle porte à Popaul ne sera cependant pas suffisant. Elle l’a aimé sincèrement comme elle a aimé Kostitch, Mirko Djordjévitch, Lazare la Baignoire, Laboud ou le poète Radé Proust, mais elle épousera Vesko Manoïlovitch. Avec lui qui a la gentillesse de la battre un peu, elle prend un tel pied que cela a entraîné « l’éruption du volcan Merapi en Indonésie et une brusque et violente tempête dans la mer de Marmara – tempête qui a fait sombrer le bateau turc Üskudar plein de voyageur. » Pendant le banquet, elle goûtera à quelques-uns des “membres” de la famille de son mari.

Les Aventures illustrées de Minette Accentiévitch est à la fois un bon roman et un très bel objet qui devraient faire plaisir à tous les amoureux du sexe et du livre à la fois. À condition qu’ils soient majeurs, bien entendu…





Vladan Matijević, Les Aventures illustrées de Minette Accentiévitch. 
Traduit du serbe par Gojko Lukić. Illustré par Gérard DuBois. Les Allusifs. 33 €

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