lundi 27 juin 2011

Xavier Person, Extravague / Questions à l'auteur

Personne ne rêve assez
Marc Villemain

Éditions Le Bleu du Ciel
C’est le graal des écrivains, et, parmi eux sans doute, plus encore des poètes : la source et la destination du langage. Xavier Person nous le disait déjà (cf. ci-dessous) : parler, nous disait-il alors, peu ou prou, c’est « toujours trébucher dans la langue. » Il ne s’agit pas d’un aléa ou d’un incident dans le parcours, mais d’une donnée constitutive à la fois du langage et de ses propres travaux. Il y revient d'ailleurs ici : « Il est si difficile de ne pas glisser quand je commence à parler. » A cette aune, que dire alors d’une langue lorsqu’elle est rêvée ? Si ce n’est, peut-être, que c’est dans le rêve que prend naissance le langage. Car où mieux que dans le rêve aller puiser et ressourcer ce qui nous fait penser, parler, écrire, où mieux qu’à cette instance trouver de quoi faire entendre les contingences dont notre logorrhée est faite ? Aussi Xavier Person s’acharne-t-il à « remonter jusqu’au point de départ / de la sensation d’un amour », tout au long d’un recueil dont ce qui nous frappe est d’abord le halo fébrile, fragile, friable et pourtant élastique, d’une certaine manière, qui l’entoure. Comme dans les formes molles ou liquéfiées de Dali, il y a quelque chose dans la langue de Person qui penche vers l’affaissement, la parole devenant elle-même une métaphore, pourquoi pas une expression même de l’éboulis.

En lisant Extravague, et l’impression dominait déjà lorsque parut Propositions d’activités, nous entrons dans une machine à étirer les sensations. Je veux parler bien sûr de la plasticité du temps, mais qui ne signifie rien en soi ou en tout cas n’existe qu’en regard d’une phrase dont on sent qu’elle aimerait parfois se passer de toute énonciation pour trouver à dire, comme si l’extériorisation ne trouvait finalement sa résolution que dans le point final – donc dans le silence, qui n’est pas absence mais condensation de la parole totale. Car il y a quelque chose ici d’une poésie du silence, non en ce que celui-ci serait investi de telle ou telle vertu, mais qu’il témoignerait de ce qui, au fond, serait le plus recherché, comme une forme de démission désirée devant l’intarissable et très insatisfaisante complexité qui consiste à énoncer, dire, montrer. Ainsi le poète, qui commence en songeant que « je ne t’écris que le temps de ne pas savoir quoi t’écrire », se résout à constater que « je crois que je commence à aimer ne rien t’avoir écrit jamais. » 

C’est dans cette auréole de signes et d’intangibilités que Xavier Person poursuit une œuvre assez inclassable, qui s’attache à faire entendre ce silence qui est le nœud du bruit, et dont on dirait qu’elle poursuit sans fin la matrice originelle de toute expression. D’où enfin le caractère charnel, très sensuel de cette poésie, où l’on flotte entre fluides et chairs, « comme de la sueur très abondante inonde la peau de cette phrase dont je découvre le dos. »

Article paru dans Le Magazine des Livres, n° 24, mai/juin 2010

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Xavier Person
DOSSIER SUR LA LANGUE FRANÇAISE
Le Magazine des Livres, n° 8, janvier/février 2008

Trois questions à... Xavier Person 
Propos recueillis par Marc Villemain

Vous développez, comme poète, une approche particulière, que d'aucuns diraient expérimentale, de la langue française. A cette aune, jugez-vous cette langue en péril, ou pensez-vous au contraire que ses transformations indéniables, constituent une source salutaire de son évolution ?  

Ce n'est pas tant la question de la langue que celle du langage qui m'intéresse. Ce qui se dit quand quelqu'un commence à parler est toujours quelque chose d'étrange, dès lors qu'on y prête attention, c'est une fabrication de nuage ou de brume, une composition flottante. Propositions d'activités part de phrases entendues, déformées, transformées dans une logique de déplacements et de condensations, pour atteindre une souplesse maximum, une sorte de modalité caoutchouteuse du sens, dans une radicalisation du witz ou du lapsus. Parler, au fond, n'est-ce pas toujours trébucher dans la langue, se prendre les pieds dans les phrases toutes faites pour tenter de dire quelque chose ?  

Quelle place prennent dans votre travail d'écriture le rôle et les règles de la grammaire ? Éprouvez-vous un plaisir (même trouble) à y déroger ? et à quelles fins ?  

Dans ce que j'ai tenté d'écrire ici, je dirais que la règle a été comme le fil du funambule, fil tremblant au-dessus d'un certain vide, comme si, s'agissant d'entrer dans une phrase, il n'y avait eu de solide, de certain, que la règle grammaticale, et donc la découverte de son impérieuse nécessité. 

Cette approche vous semble-t-elle compatible avec les nécessités de l'enseignement et le "socle" langagier commun, hors duquel il semble difficile qu'une langue se perpétue ? 

Cette question du socle commun me fait penser à ce qu'écrit Foucault dans sa préface aux Mots et aux choses. Citant l'énumération monstrueuse par laquelle, dans une de ses nouvelles, Borgès évoque une encyclopédie chinoise proposant une classification des animaux complètement fantaisistes : a) appartenant à l'Empereur ; b) embaumés ; c) apprivoisés, etc... A la lecture de cette étrange taxinomie, nous rions selon Foucault, mais d'un rire jaune, atteignant à une certaine limite de la pensée, à "l'impossibilité nue de penser de cela." L'incongru est retrait du tableau commun, de la table d'opération, il est ruine du langage, de ce qui fait tenir ensemble les mots et les choses. On s'y approche de l'aphasie, du mutisme du fou, ou de son bavardage infini. Mais rien de tel, sans doute, qu'une expérience un peu limite pour retrouver goût, et sens, au socle langagier commun.



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