jeudi 28 juin 2012

Pierre Escot, Planning

Des primes
Éric Bonnargent

Journiac, Oedipus Rex
Les éditions PPT ont offert à Pierre Escot la couverture la plus laide de toute l’histoire de la littérature. Un coucher de soleil des plus kitsch qui soient, un ciel mauve et orangé, une mer bêtement limpide et, au premier plan, une silhouette dans un hamac suspendu entre deux palmiers. On dirait la couverture d’un vieux catalogue d’agence de voyage de la fin des années soixante-dix. On ne peut guère faire plus rédhibitoire au point de vue du marketing. Et si « un malade des facultés » achetait ce livre à cause de sa couverture, il y a tout à parier qu’il serait infiniment surpris par ce qu’il découvrirait : un agenda rempli de mots écrits en majuscules, de mots donc, parfois de groupes de mots, mais rarement de phrases. Planning est en effet écrit sous forme de… planning. Une semaine par double page, du premier janvier au trente et un décembre. Oui, mais voilà…

Pierre Escot est poète. Sa langue est habituellement d’une rare puissance, sa langue est charnelle, sans concession comme en témoigne cet extrait d’Occiput :

« La bite s’enfonce
et te transperce,
au fond de la fente qui te suce,
globules en suspension,
les molécules retournées
dans la fente, la gravitation,
quand c’était sur un point déplié, pliure, repliure
pour arriver à tomber et paraître
de ses nouvelles fibres,
le point d’avant toute chose à nouveau. »

Avec Planning, la langue de Pierre Escot se fait minimaliste, elle se débarrasse de tout l’inessentiel, de la ponctuation, des adjectifs, des métaphores et puisqu’il faut de la musique avant toute chose, la musicalité de Planning s’inscrira plus dans la lignée déstructurée de Schoenberg que dans celle, romantique, de Debussy. Et de même que le compositeur autrichien raconte des histoires, de même Escot en raconte-t-il une ; celle du propriétaire de l’agenda, un gars pas tout à fait ordinaire, un salaud ou plutôt un pauvre type. Mais au fil des mots jetés de manière discontinue sur le papier, le lecteur va apprendre à le connaître et à éprouver une certaine sympathie pour le narrateur ; après tout, même Patrick Bateman est sympathique. Tout commence dans la banalité des lendemains de réveillon :


Le narrateur est un cadre supérieur dans une entreprise. Il a un poste élevé, a des objectifs financiers à réaliser et des personnes sous ses ordres qu’il a parfois la charge de licencier. C’est un cynique, le genre de type que personne n’aimerait avoir comme supérieur. Il n’a aucun état d’âme quand il s’agit de licencier l’un de ses subalternes et se délecte de mettre les autres sous pression en leur faisant craindre, à leur tour, de perdre leur emploi. Il a même une tête de Turc : Francis Leplant. Dans son agenda, il note par exemple, qu’il lui faut préparer son humiliation, tester son endurance ; quelques mots secs couchés sur le papier qui expriment bien ses absences d’états d’âme. Il maintient sadiquement Leplant sous pression et profite de la crise que traverse son entreprise pour le harceler. En réalité cependant, le narrateur est un petit, lui-même harcelé par son patron, lui aussi menacé de licenciement qui ne fait que se venger sur ceux qui sont en son pouvoir, ceux qui sont faibles et qui se réjouit, en juillet, de la guerre civile qui éclate en Afrique : cela devrait relancer les affaires…
Sa vie sentimentale est à l’image de sa vie professionnelle. Il est seul, mate des films de cul, drague sur internet, va aux putes et baise ses collaboratrices. Il y aura Sophie. Puis Véronique. Et d’autres. Ce n’est pas pour rien que ses collègues l’ont surnommé “Jo la Rondelle”…

Pourtant, ce cynisme n’est peut-être que de façade. S’il ne cesse de se vanter de sa brutalité, “Jo la Rondelle” somatise énormément et, toujours à l’écoute de son corps, il note tout : insomnies, hémorroïdes, maux de tête, démangeaisons. Et lorsque Francis Leplant, excédé, finit par se suicider, il ricane avant d’être pris de remords quelques semaines plus tard.


Ces hallucinations sont dues au processus d’humanisation enclenché par la rencontre avec Emilie dont le nom est signalé ci-dessus à la journée du 02 novembre. Emilie lui apporte une certaine sérénité. Emilie est une jeune divorcée, mère de la petite Aurore, douze ans qui est devenu sa voisine le 14 février dernier, date qui n’a évidemment rien éveillé en lui. Lui, l’indifférent, a été peu à peu touché par la mère et la fille, par leur gentillesse, leur simplicité, par leurs “bonjours”, leurs sourires. Ce sont d’abord des relations de bon voisinage qui se sont instaurées. Sont venus ensuite les apéros. Fin avril, il les nomme enfin par leur prénom dans son agenda et le 29 août, Emilie est devenue sa maîtresse.
Notre narrateur est déchiré entre des aspirations contradictoires, entre la tendresse et la dureté. Il est hélas trop tard pour sauver une telle petite ordure et ce qui semblait être un processus d’humanisation va se transformer peu à peu en un cheminement vers la folie et la mort…

Planning est un livre étonnant qui réussit à partir d’une forme improbable, non seulement à raconter une histoire, aussi bouleversante soit-elle, mais à créer une musicalité poétique discontinue fascinante. Un très beau texte d’un grand poète.  à découvrir.





Pierre Escot, Planning. PPT Editions. 10 €





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