lundi 28 février 2011

Leonard Michaels, Le Club.

Les histoires d’A.
Éric Bonnargent

Duane Hanson, Supermarket lady
Peu connu en France, Leonard Michaels est un écrivain américain décédé en 2003 à l’âge de 70 ans. Après Conteurs, menteurs et Sylvia, c’est au tour de son roman le plus célèbre, Le Club, d’être traduit par Céline Leroy pour les éditions Christian Bourgois. Adapté au cinéma par Peter Medak, avec, entre autres, Roy Schneider et Harvey Keitel, ce livre a suscité le débat à sa sortie, en 1981 : Leonard Michaels fut alors conspué par les féministes et encensé par les sexistes.
Qu’est-ce donc que ce club ? Un club d’hommes. Nous sommes à Berkeley, en Californie, à la fin des années 70. Sur le modèle des groupes de parole féministes, sept hommes, ne se connaissant pas pour la plupart, se réunissent un soir chez l’un d’eux, Kramer, dont la femme, Nancy, est absente. Venus de divers horizons, ces hommes décident de parler de leurs vies. Donc d’amour. Donc de sexe. Lorsque des hommes discutent entre eux, le langage est châtié, la vulgarité de mise et les femmes sont envisagées comme des objets sexuels, sauf les épouses dont ils exigent une certaine fidélité, mais qu’ils trompent sans remords :

« Le dîner est prêt, la table est mise, les gamins ont pris leur bain et m’attendent. Au centre de la table, il y a un vase avec des marguerites. Du lait pour les enfants. Comme s’il ne s’était rien passé. Tout est en ordre, comme il se doit. Du blanc, du jaune, tout propre. Même le chat a l’air heureux. Je lève ma fourchette à ma bouche et une bouffée de chatte monte à mes narines parce que, vingt minutes plus tôt, j’étais au bout de la rue en train de baiser comme un malade. »

Ainsi s’exprime Cavanaugh, un géant, un ancien basketteur, qui a mis fin à sa carrière par amour, mais dont la sexualité est si vive qu’il ne peut s’empêcher d’être infidèle à sa compagne. Pour ces hommes, la sexualité et le mariage sont deux choses aussi différentes que le bonheur et l’ennui. Selon Cavanaugh, les épouses sont responsables de l’infidélité de leurs maris car elles ne tiennent pas compte de leurs revendications sexuelles :

« Je lui ai dit qu’elle n’était qu’une bonne femme conventionnelle, à refuser de baiser à cinq heures du matin. Toujours plus tard. Plus tard, ça veut dire après le dîner. Le repas à moitié digéré. Avec le lave-vaisselle qui tourne dans la cuisine. Plus tard, ça veut dire avec la télé des voisins qui braille à ta fenêtre. Un des garçons qui tousse dans sa chambre. Tu sais ce que c’est que d’essayer de baiser quand ton gamin tousse ? Je lui ai reproché de vouloir me rendre malheureux, de vouloir me faire bander à heure fixe comme n’importe quel connard d’homme marié dans ce pays. »

Par l’intermédiaire de ses personnages, Le Club réalise le procès du mariage. Sans doute est-ce l’un des éléments qui a le plus choqué. Le mariage, c’est l’ennui. Le bonheur et la sexualité commencent leur agonie dès la sortie de l’église. Le quotidien use et l’amour se transforme peu à peu en haine. Solly Berliner a cru pouvoir éviter cette impasse en pratiquant l’échangisme, en vain :

« Je vais faire des courses, mais j’oublie d’acheter du café. Sheila me dit que je suis complètement malade. Elle me regarde comme si elle voulait ma mort. À cause du café. »

Les critiques ont souvent affirmé que Le Club était un ouvrage réservé aux hommes dont les personnages, misogynes et grossiers, exprimaient les aspirations d’une masculinité décomplexée dont Éric Zemmour regrettait la disparition dans son Premier sexe. En réalité, ces hommes sont… pathétiques. Cavanaugh n’a qu’un souhait : « que ses gamins ne lui ressemblent pas ». La femme qu’il a le plus aimé, avec laquelle il n’a passé qu’une nuit, il l’a croisée dans un supermarché et, incapable de se souvenir de son nom et de l’endroit où elle habitait, il hante les lieux depuis des années dans l’espoir de la retrouver. Puéril, Kramer montre sa collection de portraits, ceux des 622 femmes avec lesquelles il a couché. Berliner souffre de ses pratiques sexuelles et Paul fume pétard sur pétard pour oublier son corps. Depuis que sa femme est partie, lui laissant une maison complètement vide, Harold est déprimé. Terry est devenu le confident de son ex-femme et… de son nouveau mari. Lui aussi a passionnément aimé une femme, la jeune, riche et belle Déborah Zeller, mais, après qu’elle lui a piqué une fraise dans son plat au restaurant, il a eu une telle poussée de haine, qu’il lui a donné une série de violents coups de pied sous la table avant de s’enfuir. Il n’y a guère que le narrateur, plus spectateur qu’acteur, qui ne soit pas pitoyable. Peut-être parce qu’il est le seul à ne pas être prisonnier d’un idéal illusoire de virilité.
Au cours de cette soirée, chacun racontera une ou plusieurs fanfaronnades amoureuses. Bien entendu, ils boiront comme des trous, videront les frigos, se battront, renverseront les meubles et mettront en charpie une porte et son encadrement en y lançant des couteaux de tir. Une soirée mémorable. Jusqu’au retour de Nancy Kramer…






Leonard Michaels, Le Club. Christian Bourgois. 13 €

2 commentaires:

  1. Oui. Et puis j'ai cru que vous aviez oublié de dire que c'était juste un peu drôle. J'ai relu la critique & et j'ai reconnu que bon, entre les lignes ça le disait un peu quand même (rires). J'ai repris le livre tout corné. Par exemple page 21 la reprise du film Casablanca en couleurs (chaussure rouge cerise), ou page 84 le moyen infaillible de trouver le tribunal à droite. Mais bon. C'était juste des détails, hein ;) C'est bon que vous en parliez. Merci! Gaétane

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  2. Ah flûte je ne l'ai pas lu. J'ai adoré Sylvia et apprécié Conteurs, menteurs. (Michaels misogyne, après avoir lu Sylvia, ça m'étonnerait.)

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