jeudi 5 mai 2011

Marc Villemain, Le Pourceau, le diable et la putain.

Alceste meurt
Éric Bonnargent

Lucian Freud, Naked Man on Bed
Dans sa chambre d’hôpital, abandonné de tous, Léandre d’Arleboist, l’auteur du célèbre Le Misanthropisme est un humanisme se meurt. Immobilisé sur son lit, M. Léandre, comme l’appelle Géraldine Bouvier, son infirmière, contemple l’agonie d’un cloporte. Tout en méditant sur l’inutilité de toute résistance contre l’inéluctable, Léandre d’Arleboist se remémore sa vie, tout entière consacrée à la détestation du genre humain. Et comme misanthropie bien ordonnée commence par soi-même, il n’échappe pas à son propre courroux :

« Il faut toutefois se bien faire comprendre, quitte à se répéter : le misanthrope conséquent ne connaît de détestation qu’envers lui-même. […] Et je ne parle pas ici de la pauvre haine de soi dont s’accablent tant de bonnes âmes socialistes ou libérales. Non, je parle d’une détestation radicale, celle qui nous accule à pleurer sans fin sur la monumentale erreur d’aiguillage qui, un jour, fit sortir du sol ce que l’on peine à désigner sans rire par le substantif : humain. »

Misanthrope, le moribond l’a toujours été, l’est encore et veut surtout le rester jusqu’à la fin. Sa haine du genre humain est telle que rien ni personne n’est épargné par sa colère : les autres en général (« l’autre est toujours un agresseur »), ses collègues universitaires (« ces benêts bêlants »), ses étudiants (« le passage de l’âge post-acnéique à celui de préprostaté constitue toujours une fâcheuse injure au bon goût »), les femmes, surtout celle de quarante ans, « affolées à l’idée de récupérer en cellulite ce qu’elles avaient depuis longtemps perdu en séduction », etc. Il s’emporte parfois au point de se livrer à de grotesques analyses « anthropo-morphologiques » concernant les Espagnols, les Italiens, les Portugais… M. Léandre oublie alors son langage soutenu, voire désuet pour sombrer dans la vulgarité. Lucide ou pathétique, il éructe, se calme, éructe de nouveau… Sur son lit de mort, le démoniaque vieillard n’éprouve plus aucune affection, ni pour son pourceau de fils, ni pour cette putain d’infirmière à l’insupportable gentillesse qu’il tente, par ses provocations et ses insultes, de faire craquer...


Le Pourceau, le diable et la putain est un roman extrêmement plaisant, tantôt  badin, tantôt grave, et le lecteur n'aura certainement qu'un regret : que l'agonie du misanthrope ne se soit pas quelque peu prolongée.






Marc Villemain, Le Pourceau, le diable et la putain. Quidam. 12 € 

2 commentaires:

  1. Moi qui l'appelle "M. de Pourceaugnac" depuis que ça clap et que ça moque sur Facebook... Quel instinct que j'ai quand même ! ça mérite un Molière d'honneur non ?

    Salut & fraternité,
    A. G

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  2. Bartleby n'est pas là... J'en profite pour vous dire, Marc Villemain, que Joe le chien me fait penser au chien des Chums dans - Against the day- de Pynchon, il est rusé, c'est là d'ailleurs que j'ai compris que si les chiens des alcooliques finissent les verres dans les bars, les chiens des écrivains finissent de lire les livres au fond de la cour c'est pour ça qu'ils sont érudits, c'est ainsi qu'ils modifient mes présupposés des "cave canem" qui gueulent et montrent leurs crocs sans savoir pourquoi.

    A cause de PDP, j'ai eu droit à une révolte des livres chez moi sur l'étagère, ils ont pensé que j'allais lire PDP avant eux alors qu'ils attendent chacun leur tour, que je les ai fait déplacer par la poste, pas toujours agréable de se retrouver coincés parmi les colis de la consommation urbaine. Je fais partie d'un réseau peu répandu sur d'autres territoires mais qui devrait s'étendre où je peux obtenir dans tout mon département sur un clic informatique des livres qui restent parfois longtemps sur les étagères des bibliothèques de mon réseau avant de trouver acquéreurs. C'est ainsi que j'ai proposé la commande acceptée de -Et que morts s'ensuivent- à ma bibliothèque dans l'espoir qu'il voyage dans le réseau, il faut penser à tous ceux qui ont un budget-livre réduit et rien ne dit qu'ils ne l'achèteront pas ensuite car c'est aussi ce qui arrive quand un livre est en accord avec son lecteur qui découvre une écriture.

    J'attends du réseau - Forêts noires- de Romain Verger, le livre vient d'une médiathèque qui agit pour la différaence.

    Alors les livres ont argumenté : quoi, Le Pourceau, le diable et la putain c'est pas un titre ça, d'abord t'es pas assez blindée pour lire ça, qui te dit qu'il te propose pas encore des petits meurtres entre amis ?
    Alors je les ai rassurés, ils passeront avant, normal et de plus je ne crains rien avec -Monsieur Lévy- puis -Et que morts s'ensuivent- j'ai des supports pour comprendre.

    Quoi, Alain Giorgetti, encore vous ? Mais oui c'est ça -Je me souviens-, un jour ou l'autre on devait se rencontrer.

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