Frédéric Berthet : l'art de l'esquisse
Marc Villemain
Éditions Denoël |
Il est
un peu triste – et le spectacle du temps n’invite hélas pas à l’optimisme –
d’avoir à attendre la disparition d’un écrivain pour le découvrir. Et en mort,
Frédéric Berthet s’y connaît, qui succomba chez lui, seul, abattu par l’alcool
et la dépression, au soir de la Noël 2003 : mort exemplaire, s’il en est. Il
laissera derrière lui un Journal de trêve
dont on a beaucoup parlé ces dernières semaines, quelques amitiés éberluées
(Jean Echenoz, Michel Déon), une posture peut-être, où croisent le cabotinage,
le silence, l’évitement, les frasques et le retrait ; une existence qui
pourrait nous rappeler celle d’un Dominique de Roux – mais quand celui-ci
fuyait hors de (chez) lui pour trouver le bon tempo de l’existence et lutter
avec le langage, Berthet s’enfouissait, s’auscultait, se détruisait. Et puis il
y a ces quelques textes, dont on disait alors qu’ils faisaient de lui un
écrivain prometteur – expression générique parfois utilisée pour évoquer ceux à
qui seront toujours fermées les portes du grand public.
Ainsi ces nouvelles, publiées une première fois en 1984 dans une relative
indifférence, et dont il est plus difficile que prévu de dire pourquoi on les a
aimées. Entier, amer, traversé par une métaphysique incandescente mais
construite pour l’élégance, Berthet brûle tout, tout de suite : son talent
éclate en fulgurances, en traits, en saillies et en reparties. Tout est
toujours dans le potentiel – comme ce grand roman qui ne verra finalement pas
le jour et vers lequel il avait tourné son existence tout entière. Le langage
est travaillé ici au pilon, là aux ciseaux de couturière. Non par souci du
style, quoique son existence soit à elle seule comme un exercice de style, mais
parce que « ce n’est pas avec la
sexualité, mais avec le langage que la malédiction est entrée dans le monde. »
On aime, donc, ces petits textes accoudés les uns aux autres, à ce point serrés
qu’on se demande parfois s’il ne s’agit pas plutôt d’un roman découpé aux
seules fins d’inoculer un souffle qui ne peut tenir puisque tout va vite, que
tout doit aller vite, ces petits textes d’un désespoir poli qui nous revient en
sourires. Et nous sommes envahis par ces atmosphères d’élégance brillante, ces
douceurs au bord du craquement, cette tendresse aristocratique pour des
coutumes qui n’ont plus cours, ces accès de délicatesse qui peinent à
dissimuler ce qui surchauffe et bouillonne dans l’arrière-cuisine, cette parole
où l’on entend, éperdue, complice, la voix de Fitzgerald.
A lire aussi : Frédéric Berthet, "Correspondances - 1973/2003"
Article paru dans Le Magazine des Livres - N° 2, février/mars 2007
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