vendredi 22 avril 2011

Vanessa Place, Exposé des faits.

Intime conviction
Éric Bonnargent

Andy Warhol, Death and desaster.
Exposé des faits pourrait être rangé dans cette étrange catégories de livres qu’on appelle les OLNI, les Objets Littéraires Non Identifiés, c’est-à-dire des textes qui, par leur forme, leur structure ou leur type de narration ne sont ni des romans, ni des récits, ni des nouvelles, etc. Paru dans la nouvelle collection “Littérature étrangè®e” des Éditions è®e, Exposé des faits, traduit par Nathalie Peronny, est le premier texte de Vanessa Place à paraître en France.
Née en 1968 aux États-Unis, Vanessa Place est scénariste, éditrice, critique d’art, écrivaine et avocate. Ce livre, constitué de sept affaires judiciaires, n’est pas, comme on pourrait le croire, un roman policier. S’appuyant sur son expérience d’avocate, Vanessa Place utilise le langage des tribunaux, un langage froid qui a pour but d’énoncer objectivement les faits. Le lecteur se retrouve ainsi à la place des juges : pour cinq affaires, il a devant lui le dossier à charge et le dossier de la défense. Contrairement à ce qui peut se passer dans un roman policier où les criminels sont des personnages quasiment de “chair et de sang” pouvant susciter l’empathie ou le dégoût, les criminels ne sont ici connus que par les rapports judiciaires et leur culpabilité est incertaine. Vanessa Place fait appel à notre intime conviction pour déterminer la culpabilité de ces hommes et de ces femmes. Après avoir lu le dossier à charge, la culpabilité de l’accusé semble toujours établie, mais, après avoir pris connaissance du dossier de la défense, rien n’est plus si sûr…
La première affaire concerne un homme qui, déjà condamné à vingt ans de prison pour le viol d’une mère et de sa fille de treize ans, est accusé de viol sur Virginia M., une prostituée héroïnomane qui décèdera d’overdose quelques heures après son témoignage. La culpabilité est évidente… mais, alors, pourquoi cet homme qui avait plaidé coupable lors de son premier procès refuse de le faire pour celui-ci ? Parce qu’il est innocent, affirme son avocat :

« L’appelant n’a pas menacé de violer Virginia : c’était inutile, vu qu’il l’avait déjà payée pour avoir des rapports sexuels. Il ne l’a jamais frappée. Il n’aurait pas pu s’asseoir sur elle pendant qu’elle pratiquait un coït oral sur lui car il possédait un matelas à eau et pesait à l’époque une centaine de kilos. (RT 3 :1811-1812, 3 :1841-1842) Si l’appelant à traité M. de salope, ça n’avait rien de personnel. Pour l’appelant, ce terme s’applique à toutes les femmes. (RT 3 :1825-1826) »

Alors ? L’appelant est bien entendu une ordure, mais la victime est une junkie mythomane. Qui ment ? Tout dépend de l’intime conviction du juge, du lecteur.
Vanessa Place nous présente ensuite une affaire de pédophilie qui met en cause les méthodes d’investigation de la police américaine, une affaire de délit de fuite qui finit par une arrestation si musclée que le prévenant comparaîtra en chaise roulante, une affaire de proxénétisme qui révèle les méthodes employées dans ce milieu, un débat d’experts psychiatriques qui, à partir des mêmes grilles d’observation, parviennent à des résultats opposés quant à la responsabilité pénale d’un prédateur sexuel. Les deux dernières affaires exposent de simples recours afin de faire casser un jugement. Le premier est celui d’un avocat tentant de faire annuler la condamnation de sa cliente qui a été condamnée pour « abus sexuels sur enfants » alors qu’il ne s’agissait que de maltraitance du fait qu’elle n’en a retiré aucun plaisir sexuel et que, selon la loi, le plaisir est ce qui définit l’agression sexuelle. L’argumentation est aussi implacable que de mauvaise foi et on voit mal comment le juge pourra rejeter cet appel… Le second recours a pour objectif de faire casser le jugement condamnant les prévenants pour viol « en association avec un gang criminel » en montrant que l’appartenance commune à un gang n’était pas lié au viol.
Des faits, rien que des faits… Mais qu’est-ce qu’un fait ? Un fait est une donnée objective. 2+2 = 4 est un fait car il ne peut en être autrement. Ce que Vanessa Place montre avec talent, c’est que dans le domaine de la justice, les affaires qui paraissent si simples lorsqu’elles sont présentées lors des journaux télévisés sont en réalité bien difficiles à juger. Tout jugement dépend de la manière dont on est perçu le crime et le rôle des avocats et des procureurs est de nous pousser à le voir de telle ou telle façon. Les faits n’existent pas et il dépend de nous seul de juger de l’avenir d’un prévenu. Avec Douze hommes en colère de Reginald Rose, Exposé des faits est sans aucun doute le texte qui expose le mieux le fonctionnement de la machine judiciaire.






Vanessa Place, Exposé des faits.Traduit par Nathalie Perrony. Éditions è®e.  13 €







Article originelle paru dans le Magazine des Livres.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire