Loin des Ramblas
Éric
Bonnargent
Sagrada Familia |
Après Paris, Los Angeles, Londres,
Brooklyn, Rome, Mexico et Delhi, c’est Barcelone que cette nouvelle anthologie
des éditions Asphalte, spécialistes de littératures urbaines, invitent le
lecteur à parcourir.
Ce n’est ni sur les Ramblas ni sur les
plages si chères aux touristes que les auteurs (quatorze, dont cinq femmes)
sélectionnés ont décidé de nous guider, mais à travers les ruelles moins
fréquentées de quartiers comme El Born, El Raval, San Gervasi… Les grandes
métropoles sont toujours polymorphes et l’ensemble de ces nouvelles permet de
dresser un portrait kaléidoscopique de la capitale catalane. « Le secret d’une grande ville, écrit Raúl
Argemí à propos de Barcelone, c’est
qu’elle comporte en son sein une multitude de villes juxtaposées, vivant côte à
côte, mais avec très peu de connexions entre elles. »
C’est sans doute parce qu’une ville se
comprend par son histoire que ce recueil s’ouvre avec un texte d’Andreu Martín,
« Loi de fuite », rappelant que Barcelone fut, au début du siècle, « la capitale mondiale de l’anarchisme. »
Cette loi, votée en 1920, autorisait la police à tirer en cas de délit de fuite :
de nombreux activistes furent ainsi abattus d’une balle dans le dos après avoir
été libérés. « Les Ombres de Brawner » montre à quel point la
collaboration avec l’Allemagne nazie pèse aujourd’hui encore sur les
consciences. Dans « En ce monde, en ce temps-là, où Mercedes est morte »,
Lolita Bosch s’appuie sur un fait-divers, l’assassinat de Mercedes Cassola au Mexique,
pour revisiter les heures les plus sombres du franquisme.
La misère sociale et l’immigration font
l’objet de trois nouvelles particulièrement réussies. « Quartier chic »
de Jordi Sierra i Fabra nous permet de faire connaissance avec une richissime
et répugnante famille du luxueux Parc Túro qui exploite sans vergogne Felipa,
une jeune Philippine. Pour les Masdeu, les immigrés ne sont, de toute façon,
que « des animaux du tiers-monde
vivant comme des rats dans un monde qui leur échappe. » Ceux qui
finiront comme des rats ne sont pas forcément ceux qu’on croit… Dans « Histoire
d’une cicatrice », Cristina Fallarás lance ses personnages à la recherche
d’une main tranchée au cœur du monde interlope des junkies et des clandestins
venus d’Afrique. « Le Charme subtil des femmes chinoises » de Raúl
Argemí évoque l’immigration asiatique et la guerre des Balkans.
D’autres textes ont une tonalité plus
sociale. Barcelone cristallise les paradoxes d’une Espagne tournée vers l’avenir
et pourtant toujours prisonnière de ses valeurs ancestrales. Le poids des
traditions se retrouve dans ces deux étonnants textes que sont « Le
Prédateur » et « Décrocher la lune », alors que l’homosexualité féminine
librement vécue est le thème d’une belle nouvelle signée Osabel Franc, « Le
Mystère de sa voix ». Trois textes, signés David Barba, Eric Taylor-Aragón
et Teresa Solana, se démarquent plus particulièrement par l’originalité de
leurs intrigues et la qualité de l’écriture. La haine des livres et l’envie que
le narrateur frustré de « Sweet croquette » éprouve envers Ferran Adría,
l’ex-chef du fameux El Bulli, vont le conduire à d’effroyables expériences
culinaires. Dans « Épiphanie », il est question de dépression amoureuse,
de drogue et… d’émasculation. Enfin, « L’Offrande » met en scène la
folie d’un médecin légiste qui, lors de l’autopsie de la plus laide de ses
collègues, découvre les secrets de la beauté intérieure…
Barcelone
noir
est une anthologie qui, malgré deux nouvelles un peu plus faibles (« Le
client a toujours raison » et « Le policier qui adorait les livres »),
permettra au lecteur, d’une part, de découvrir des auteurs de polar le plus
souvent inconnus en France et, d’autre part, d’explorer les sombres facettes d’une
ville si prisée des touristes.
Article publié dans Le Matricule des Anges, Juillet-Août 2012
Barcelone
noir. Textes réunis par Adriana V. López et Carmen
Ospina. Traduit de l’espagnol (castillan et catalan) par Olivier Hamilton. Éditions
Asphalte. 21 €
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