Marc Villemain
Éditions Les Allusifs |
Il existe bien des manières de
prendre le pouls du puritanisme. L’une d’entre elles est assez subtile :
elle consiste, pour la critique autorisée comme pour la doxa, à s'attendrir sur
une littérature qui, par principe, ambition, pudeur sincère ou effet de mode,
s’attache à dissimuler toute charge de sensibilité – de crainte qu’elle ne
passe pour une surcharge de sensiblerie. Et, à l’appui de cette opinion, il
faudra en effet considérer l’aigre et lourd pathos de la beaufitude
communicationnelle dont nos existences se trouvent proprement envahies. A cette
aune, Cochon d’Allemand est donc un
premier roman très réussi (d’ailleurs déjà primé au Danemark), tant il eût été
facile à son auteur de satisfaire aux effusions du lecteur-crocodile, toujours
prompt à verser sa larme sur la guerre, le racisme, la souffrance et la mort.
Aussi la principale qualité de ce roman largement autobiographique tient-elle peut-être
à cette forme de narration qui met parfois le « je » de l’auteur à
une telle distance qu’il en devient presque un personnage parmi d’autres, au
même titre que les membres de la famille, ici campés avec une belle et enviable
finesse. La conjonction d’un talent évident pour le détail, qui fait mouche
dans la galerie des portraits de famille, et pour l’ellipse comme mode d’accès
aux événements dans ce qu’ils ont d’essentiel et de direct, fournissent donc
matière à un livre original, maîtrisé, touchant, mais dont il n’est pas
interdit de regretter un parti pris stylistique qui lui fait parfois courir le
risque d’atténuer ce qu’il aurait pu avoir de poignant.
Aussi ne partagé-je pas
absolument l’enthousiasme général qui semble se profiler à son propos, et cela
pour une raison paradoxale qui tient à ses qualités mêmes. En effet, s’il a pu
se produire que je m’ennuie un peu durant le premier tiers, il se trouve que
les sources dudit ennui constituent au fil des pages ce qui en fait l’une des
qualités principales. Car si cette façon volontairement factuelle ou allusive
de rapporter des événements, dont certains sont graves, permet de maintenir
intelligemment le lecteur dans un entre-deux sensible, elle apparaît aussi par
trop systématique. Moyennant quoi, le style peut parfois apparaître un peu
lisse à force d’être fluide, et donner l’impression d’être scolaire à force de
ne pas vouloir en rajouter. Autrement dit, l’ambition de la justesse,
parfaitement atteinte, aurait pour corollaire de gommer des aspérités qui
auraient peut-être permis d’impliquer davantage le lecteur. Or, et nous en
venons au paradoxe, c’est précisément cette manière de raconter, désinvolte,
presque naïve, où sourd ce bel humour amer dont peut se nourrir une œuvre, qui
devient la marque et fait le charme du récit. Autrement dit, l’épaisseur est
entre les lignes. Elle autorise d’ailleurs quelques jolis morceaux de bravoure,
telle cette scène où le grand-père transforme sa salle de restaurant en salle
de cinéma, à une époque où l’on ne sait pas encore vraiment de quoi il s’agit,
si ce n’est d’ « images
vivantes ». Aussi toute la ville ou presque se masse devant l’écran
(une sombre histoire de naufrage et de noyade) et, la fin venue, les
spectateurs quittent la salle interdits, confondus en condoléances, et, « le lendemain, le drapeau fut mis en berne
dans la ville ». L’air de rien, c’est une évocation magnifique, et
pour le coup, émouvante, de la naissance du cinéma, et des spectateurs.
Entrer dans Cochon d’Allemand requiert donc le lecteur bien davantage que ce
que la facilité immédiate du récit pourrait lui laisser supposer. Car la
banalité des mots n’est ici qu’apparente, et le propos vaut tout autant pour ce
qui est dit que pour ce qui est suggéré. Le ton adopté permet à l’histoire de ce
jeune Danois, témoin et victime du racisme ordinaire qui s’abat sur sa mère
allemande, et par ricochet sur lui-même, de mêler le récit familial
autobiographique à un panorama historique assez original. Sans doute la
décontraction de ton a-t-elle facilité ce double éclairage, quitte, donc, à en
dissoudre un peu l’intensité.
Article paru dans Le Magazine des Livres, n° 6 - Septembre/octobre 2007
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire