Impossible deuil
Romain Verger
Alfred Hitchcock, Fenêtre sur cour |
Auteur de nombreux romans parus chez Gallimard, Fleuve Noir et Zulma, Marcus Malte publie son dernier récit dans la collection Polaroid des éditions de l'Atelier In 8. Cette novella dont le style n'a l'air de rien vous saisit pourtant et ne vous lâche plus. C'est dire si d'autres pouvoirs agissent dans ce texte animé d'une fausse simplicité qui n'en est que plus inquiétante, parce qu'elle nous fait épouser de l'intérieur la fracture d'un homme ordinaire, progressivement et inéluctablement aspiré par la folie, seul et unique exorcisme à sa douleur.
À trop vouloir en dire, on en amoindrirait et les effets et le plaisir du lecteur. Et ce serait dommage tant le sel de ce bref roman noir tient à sa mécanique narrative parfaitement huilée et subtilement conduite. Cannisses opère un renversement rigoureux et implacable, dont la précision horlogère (l'horloge est d'ailleurs un motif récurrent du texte) force l'admiration tout en glaçant les sangs.
Le narrateur vient de perdre sa femme (Nadine), emportée par un cancer, et tente de pourvoir tant bien que mal au quotidien de Dylan et Hugo, leurs deux enfants. Submergé par la douleur, rongé par le sentiment d'une cruelle injustice, l'homme a lâché peu à peu : la télé tourne en boucle et les dîners se résument à des plâtrées de gaufres. Dans le lotissement où il habite, où les maisons toutes semblables se comptent par volées, l'homme épie ses voisins d'en face, caché derrière ses cannisses. Des voisins sans histoire, une famille somme toute comme l'était la sienne avant le drame, qui lui renvoie quotidiennement son bonheur insolent de famille heureuse et unie. Une vision qui, par contraste, ravive constamment sa propre plaie en rappelant l'absente à sa mémoire.
À trop vouloir en dire, on en amoindrirait et les effets et le plaisir du lecteur. Et ce serait dommage tant le sel de ce bref roman noir tient à sa mécanique narrative parfaitement huilée et subtilement conduite. Cannisses opère un renversement rigoureux et implacable, dont la précision horlogère (l'horloge est d'ailleurs un motif récurrent du texte) force l'admiration tout en glaçant les sangs.
Le narrateur vient de perdre sa femme (Nadine), emportée par un cancer, et tente de pourvoir tant bien que mal au quotidien de Dylan et Hugo, leurs deux enfants. Submergé par la douleur, rongé par le sentiment d'une cruelle injustice, l'homme a lâché peu à peu : la télé tourne en boucle et les dîners se résument à des plâtrées de gaufres. Dans le lotissement où il habite, où les maisons toutes semblables se comptent par volées, l'homme épie ses voisins d'en face, caché derrière ses cannisses. Des voisins sans histoire, une famille somme toute comme l'était la sienne avant le drame, qui lui renvoie quotidiennement son bonheur insolent de famille heureuse et unie. Une vision qui, par contraste, ravive constamment sa propre plaie en rappelant l'absente à sa mémoire.
"Il y a des choses que je n'arrive pas à comprendre. Pourquoi elle ? Pourquoi ? Qu'est-ce qu'on a fait de mal, nous ? Mes gamins, qu'est-ce qu'ils ont fait de mal, ils n'ont que six ans et quatre ans ? Nadine aussi, c'était une bonne mère. […] Tout ce que je vois, c'est que Nadine n'est pas revenue, et lui en face sa femme est toujours là et elle se porte bien."
Écrasé par la peine, l'homme cherche à donner sens à la disparition de Nadine. Désemparé, prêt à se raccrocher à la moindre explication tangible, il questionne sa culpabilité, celle de sa femme, s'obstine maladivement à déceler des signes qu'il aurait négligés, comme leur chatte Guimauve écrasée peu de temps après leur arrivée. Et si les cannisses elles-même étaient cancérigènes ? Mais ce sont ses voisins qui vont polariser ses obsessions. Le destin de sa famille ne s'est-il pas joué sur un numéro de rue ?
"C'est peut-être ma faute. Au départ, on avait le choix entre plusieurs villas dans le lotissement. On a été parmi les premiers acheteurs. Celle d'en face était libre aussi. on a visité. C'est moi qui ai choisi celle-ci. La nôtre. À cause de la terrasse, justement. Nadine était d'accord, mais c'est quand même moi qui ai signé avec le promoteur. J'aurais peut-être dû prendre un peu plus de temps pour réfléchir.
Lui, il est arrivé un mois plus tard. La femme était enceinte. Nadine aussi. Elles parlaient un petit peu, toutes les deux, quand elles se croisaient. Des trucs de femmes. Elles avaient l'air de bien s'entendre. On ne savait pas, à l'époque. On ne pouvait pas prévoir."
Dès lors, nous partageons sa psychose, assistons au ravage progressif d'une conscience en proie au délire de persécution, aux affres de la jalousie, de la paranoïa et du déni. Le récit en scrute toutes les étapes dans une construction psychique et narrative en miroir qui décline les conséquences les plus effroyables du dédoublement.
Cannisses est le récit d'un impossible deuil où la douleur, sans prise ni remède, n'a d'autre choix que de s'inventer des coupables.
Marcus Malte, Cannisses, Atelier In 8, 2012. 12€.
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