Marc Villemain
Éditions Sulliver |
Commençons par saluer la
pugnacité et l’ambition de cette petite maison, Sulliver, qui poursuit depuis 1995
son travail d’analyse sociale et politique et s’obstine dans son attachement à
une « langue insoumise ».
Axée principalement sur les sciences humaines, la maison d’édition s’est
récemment dotée d’une collection littéraire, dans la continuité naturelle de
son optique critique.
André Bonmort, qui en est le responsable éditorial, nous donne donc à lire L’âge de cendre, à partir d’une idée originale : le narrateur en effet n’est autre que « l’humanité ». Celle-ci va se regarder au miroir des hommes, et ne s’y reconnaîtra évidemment pas. Un peu hâtivement qualifié de roman, L’âge de cendre s’apparente davantage à une sorte de poésie pamphlétaire. Une succession de textes très courts constitue donc cet ensemble dont on perçoit immédiatement la sainte colère, mais qui court le risque de desservir son propos en s’appuyant sur une artillerie parfois un peu lourde – et une ponctuation par trop démonstrative. L’auteur a tendance à asséner sans souci de convaincre, ce qui finit par transformer un texte au surmoi poétique en diatribe un peu accablée, nourrie à une bile qui contredit à certains égards l’appel à l’humanité qui constitue pourtant l’intention du propos. Le livre aurait pu être dérangeant, tant le miroir qui nous est présenté pourrait ou devrait nous faire honte ; mais la militance finit par irriter : arc-boutée sur une dynamique de la formule, elle devient au fil des pages anathématique, et par moments un peu facile.
La chose la plus universellement aisée à faire est de condamner le monde, et nous avons tous, en l’espèce, quelque suffisant motif de désolation à faire valoir. Le problème est qu’entre la condamnation unilatérale du monde et la stigmatisation des êtres humains, il n’y a qu’un pas. Aussi sommes-nous ici décrits comme des « assoupis » qui se contentent de pester « machinalement contre la nouvelle hausse des impôts, ou le changement de date de l’ouverture de la chasse »), qui ne pensent qu’à bâfrer (« trop de mastication nuit à l’acuité ») ou à forniquer sans prévenance pour l’écosystème (« dans vos préservatifs en latex qui ont nécessité la mort d’un hévéa »), bref de bien pauvres esprits, tentés de surcroît par l’agglutinement en « foules agenouillées » devant des religions elles-mêmes dépeintes comme des « représentants de commerce achalandés en fois diverses. » Le sens de la formule se mue parfois en goût du bon mot (les « renvois humanitaires »), ce qui ne va pas sans risque.
Dommage, car certaines intuitions auraient pu aboutir à quelque chose de plus fécond. « s’encorder ou non, telle est la question » : c’est vrai, et excellemment dit ; mais ce livre n’en fournira pas la réponse. Pourquoi n’avoir pas prolongé l’idée ? Pourquoi ne pas l’avoir tirée tout du long, et amorcé une invite à une pensée libertaire mieux étayée ? De la même manière, pourquoi s’être satisfait de réponses un peu caricaturales à cette assertion forte et mystérieuse : « Le monde n’appartient plus aux justes. Mais au juste à temps. » ? Il faut dire que faire du sentiment d’humanité le procureur des humains constituait un pari audacieux. Et la réponse consistant à trouver un rab de sentiment dans « les mots bouleversants du poème d’un adolescent éperdu qui se languit de ne pouvoir être lui-même », dans « le regard insoutenable de pureté qu’une mère posera sur son enfant nouveau-né » ou dans le « sourire de commisération vraie d’un semblable pour son pareil », ne pourra que désarçonner le lecteur, tout ébaubi encore d’avoir été l’objet d’un verdict sans rémission possible.
André Bonmort, qui en est le responsable éditorial, nous donne donc à lire L’âge de cendre, à partir d’une idée originale : le narrateur en effet n’est autre que « l’humanité ». Celle-ci va se regarder au miroir des hommes, et ne s’y reconnaîtra évidemment pas. Un peu hâtivement qualifié de roman, L’âge de cendre s’apparente davantage à une sorte de poésie pamphlétaire. Une succession de textes très courts constitue donc cet ensemble dont on perçoit immédiatement la sainte colère, mais qui court le risque de desservir son propos en s’appuyant sur une artillerie parfois un peu lourde – et une ponctuation par trop démonstrative. L’auteur a tendance à asséner sans souci de convaincre, ce qui finit par transformer un texte au surmoi poétique en diatribe un peu accablée, nourrie à une bile qui contredit à certains égards l’appel à l’humanité qui constitue pourtant l’intention du propos. Le livre aurait pu être dérangeant, tant le miroir qui nous est présenté pourrait ou devrait nous faire honte ; mais la militance finit par irriter : arc-boutée sur une dynamique de la formule, elle devient au fil des pages anathématique, et par moments un peu facile.
La chose la plus universellement aisée à faire est de condamner le monde, et nous avons tous, en l’espèce, quelque suffisant motif de désolation à faire valoir. Le problème est qu’entre la condamnation unilatérale du monde et la stigmatisation des êtres humains, il n’y a qu’un pas. Aussi sommes-nous ici décrits comme des « assoupis » qui se contentent de pester « machinalement contre la nouvelle hausse des impôts, ou le changement de date de l’ouverture de la chasse »), qui ne pensent qu’à bâfrer (« trop de mastication nuit à l’acuité ») ou à forniquer sans prévenance pour l’écosystème (« dans vos préservatifs en latex qui ont nécessité la mort d’un hévéa »), bref de bien pauvres esprits, tentés de surcroît par l’agglutinement en « foules agenouillées » devant des religions elles-mêmes dépeintes comme des « représentants de commerce achalandés en fois diverses. » Le sens de la formule se mue parfois en goût du bon mot (les « renvois humanitaires »), ce qui ne va pas sans risque.
Dommage, car certaines intuitions auraient pu aboutir à quelque chose de plus fécond. « s’encorder ou non, telle est la question » : c’est vrai, et excellemment dit ; mais ce livre n’en fournira pas la réponse. Pourquoi n’avoir pas prolongé l’idée ? Pourquoi ne pas l’avoir tirée tout du long, et amorcé une invite à une pensée libertaire mieux étayée ? De la même manière, pourquoi s’être satisfait de réponses un peu caricaturales à cette assertion forte et mystérieuse : « Le monde n’appartient plus aux justes. Mais au juste à temps. » ? Il faut dire que faire du sentiment d’humanité le procureur des humains constituait un pari audacieux. Et la réponse consistant à trouver un rab de sentiment dans « les mots bouleversants du poème d’un adolescent éperdu qui se languit de ne pouvoir être lui-même », dans « le regard insoutenable de pureté qu’une mère posera sur son enfant nouveau-né » ou dans le « sourire de commisération vraie d’un semblable pour son pareil », ne pourra que désarçonner le lecteur, tout ébaubi encore d’avoir été l’objet d’un verdict sans rémission possible.
Article paru dans Le Magazine des Livres, n° 10, mai/juin 2008
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