Hank
vs Pivot
Éric Bonnargent
Parmi
les nombreux documents complétant le reportage de John Dullaghan figure un
extrait de la célèbre intervention de Bukowski sur le plateau d’Apostrophe, le 22 septembre 1978. Sur le
plateau, Bukowski vide au goulot trois bouteilles de Sancerre ; les images
sont bien connues et sont fréquemment rediffusées. Les bruits les plus
fantaisistes vont courir suite à sa prestation : il aurait vomi sur le
plateau, il se serait pissé dessus et le journal Détective, connu pour le sérieux de ses investigations, affirme
qu’il aurait violé Catherine Paysan…
Comme
le montre le reportage de John Dullaghan, Bukowski a toujours bu avant chacune
de ses apparitions publiques. Il ne s’agissait pas seulement de jouer son
personnage, Hank n’a jamais eu confiance en lui et l’alcool lui permettait
d’affronter les autres. Sur le plateau d’Antenne
2, les choses dérapent : il ne se sent pas à sa place dans cette
émission consacrée aux écrivains « en marge de la société ». Il faut
dire que ce qu’entendait Pivot par là était risible : les invités étant
Catherine Paysan, caricature de l’institutrice de la IIIe République
(dont j’ai lu Nous autres les Sanchez,
roman d’une niaiserie presque incomparable), qui, après que Bukowski lui a
caressé les cuisses, s’écrira avec fougue « ça,
c’est le pompon ! »…, Marcel Mermoz dont on ne sait rien, Gaston
Ferdière, le psychiatre qui s’est occupé à coups d’électrochocs d’Artaud, et
Cavanna, l’anarchiste de salon, dont la révolte libertaire culmine dans le port
de la moustache fleurie et de la chemise à carreaux. Bukowski est immédiatement
mal à l’aise et les questions stupides de Pivot le poussent à bout.
Bukowski
sera violemment expulsé des locaux de la chaîne de télévision. La morale est
sauve, la vente de ses livres explose : tout est bien qui finit bien.
Plusieurs années après, voici ce que dira le vieux dégueulasse de son
apparition télévisée :
« Ha ! Ha ! Ha ! Je me fous toujours
dans des situations pas possibles. Mais quelle coterie de snobs ! C'était
vraiment trop pour moi. Vraiment trop de snobisme littéraire. Je ne supporte
pas ça. J'aurais dû le savoir. J'avais pensé que la barrière des langues
rendrait peut-être les choses plus faciles. Mais non, c'était tellement guindé.
Les questions étaient littéraires, raffinées. Il n'y avait pas d'air, c'était
irrespirable. Et vous ne pouviez ressentir aucune bonté, pas la moindre
parcelle de bonté. Il y avait seulement des gens assis en rond en train de
parler de leurs bouquins ! C'était horrible... Je suis devenu dingue. »
John Dullaghan, Bukowski, born into this. 18 €
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire