Paris, fin de siècle
Éric Bonnargent
Ludwik de Laveaux, Le Palais Garnier |
Le petit homme de l’Opéra est le neuvième opus des aventures de Victor Legris signé par Claude Izner (pseudonyme de deux sœurs, Liliane Korb et Laurence Lefèvre) et publié dans la collection “Grands Détectives” des éditions 10/18. Cette série se passe dans le Paris de la fin du XIXe siècle. Le premier volume, Mystère rue des Saints-Pères, se déroulait en 1889, date de l’exposition universelle pour laquelle la Tour Eiffel fut construite, et le dernier volume avec lequel s’achèvera cette série se passera en 1900 lors de l’exposition universelle clôturant le siècle. Avec Le petit homme de l’Opéra, nous sommes déjà en 1897.
S’il n’est pas nécessaire d’avoir lu les précédents tomes pour découvrir celui-ci, ceux qui connaissent déjà les personnages retrouveront avec plaisir Victor Legris, Joseph Pignot et Kenji Mori, les trois associés propriétaires de la librairie Elzévir, rue des Saints-Pères où les journées s’écoulent paisiblement, trop sans doute, surtout pour Victor qui a bien du mal à se contenter de la routine qui, à cause de la grossesse de Tasha, sa compagne artiste-peintre, risque à l’avenir de se renforcer. Malgré la surveillance de Tasha et de Kenji, son nippon de père adoptif, auxquels il avait pourtant promis de ne plus jamais risquer sa vie, Victor, en compagnie de Joseph, devenu son beau-frère, va une nouvelle fois s’intéresser à des décès apparemment accidentels qui, cette fois, déciment les occupants de l’Opéra. Victor et Joseph découvrent que toutes les victimes ont pour point commun d’avoir reçu peu avant leur dernier soupir un petit cochon en pain d’épice livré par Melchior Chalumeau, l’avertisseur de l’Opéra. À cause de sa petite taille, Melchior est la risée des personnels dont il connaît tous les petits secrets et dont il rêve de se venger. Figure la plus inquiétante du roman, Melchior qui loge clandestinement dans les combles du bâtiment se console de toutes ces moqueries en épiant les petits rats…
Dans ce genre de livre, les enquêtes sont habituellement menées par des personnages pouvant compter sur leur esprit déductif et/ou leur force et leur courage. Victor Legris et son compère ne peuvent s’appuyer que sur leurs intuitions. Etant avant tout des intellectuels, ils sont maladroits, frôlent sans arrêt la catastrophe, se trompent souvent et ne parviennent à résoudre les affaires qui les occupent que grâce à la chance et à l’aide inespérée de leurs amis, de leurs proches ou de la police. Mais si l’intrigue policière, compliquée à souhait, est bien entendu l’un des intérêts majeurs de cet épisode comme des autres, elle n’est pas le seul. Les auteures sont des amoureuses de la Capitale et, grâce à un exceptionnel travail de documentation, elles parviennent à faire revivre le Paris de la fin du XIXe siècle. De la librairie Elzévir, le lecteur est replongé dans la vie littéraire de l’époque : on y entend parler d’Alfred Jarry, d’Oscar Wilde, de Félix Fénéon et on y croise Anatole France ou Courteline. C’est aussi l’époque des grandes inventions ou de leur démocratisation : celle de la bicyclette, de la photographie, celle du cinéma et, avec un rôle essentiel dans ce volume, celle d’un Américain, un certain King Camp Gilette… C’est aussi la période historique qui revit : les soubresauts politiques, les attentats anarchistes, etc. D’ailleurs chaque tome de la série se termine par une postface relatant et expliquant les événements de l’année. En 1897, les faits les plus marquants sont l’incendie du Bazar de la Charité, le rebondissement de l’affaire Dreyfus et la première de Cyrano de Bergerac. En fermant son livre, le lecteur saura tout de ces événements et de bien d’autres.
C’est grâce aux différents niveaux de langues utilisés que les romans de Claude Izner sont si vivants. Ils ne sont pas les mêmes selon que nous avons affaire aux duchesses et autres marquises qui fréquentent la librairie ou au petit peuple que Victor et ses acolytes sont amenés à rencontrer. L’argot des corps de métier n’est pas non plus le même si c’est un hercule de foire ou un quincailler qui s’exprime. La gouaille du Paris d’autrefois donne si bien vie aux personnages, les atmosphères sont si bien rendues qu’en lisant Claude Izner, le lecteur a l’impression d’être dans un film d’époque. Il n’est dès lors pas si étonnant que cette série policière qui a déjà reçu le prix Michel Lebrun soit déjà traduite dans sept pays.
Le petit homme de l’Opéra est donc bien plus qu’un roman policier ou qu’un roman historique, c’est tout simplement un très bon roman.
Claude Izner, Le Petit homme de l’Opéra. 10/18. Collection « Grands détectives ». 8, 60 €
Tout à fait, ce genre de roman historique, mêle l'utile à l'agréable : s'instruire, et se détendre, j'aime aussi cette série
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