Tracer la
mémoire
Marc Villemain
Éditions du Seuil |
Lorsque Camille de Toledo
atterrit sur le continent littéraire, il le fit avec cette énergie abrupte,
provocatrice, contaminante de l’adolescent : ce fut, bien sûr, Archimondain joli punk, livre presque
culte aujourd’hui, dans le sens au moins où une certaine effervescence pouvait
éclore dans son sillage, où le lecteur pouvait en tourner les pages comme on
claque une porte derrière soi. Entre ce premier tir, riposte à l’ancien monde
autant que manifestation de hantise à ce qui s’effilochait en lui, et ces Vies potentielles, Toledo semble avoir
déplacé l’angle ; quelque chose en lui semble s’être étiré à
l’infini ; le monde qu’alors il empoignait, il le soupèse désormais, l’observe
avec un sentiment d’ébahissement douteux, le retourne comme on glisserait une
main sous un objet délicat, afin de s’en approprier les fondements, d’en
interroger les soubassements, l’autre côté. La vie est passée par là. La vie,
c’est-à-dire la mort, la naissance – et toutes les conséquences
afférentes : l’être-enfant, l’être-parent, le deuil, les apories de la
transmission, la sensation d’être fait, l’intuition de ne plus avoir qu’à
négocier la trajectoire, qu’à se tirer de ce faux pas sans trop d’indignité,
les mille et un arrachements auxquels nous devons nous abandonner afin qu’il
n’y ait point trop de casse.
Autant dire qu’il est malaisé de
parler de ce livre, d’autant plus singulier que l’auteur lui-même le soumet à
ses propres « exégèses. »
Entre les chroniques d’une vie matérielle devenue en tous points opaque, la
nécessité où se trouve l’auteur de leur donner un écho dans son histoire et sa
complexion propres, et leur sorte de résolution en des « chants » épiques et fracturés, le
lecteur aura le sentiment d’évoluer en terrain très mouvant, celui d’une âme
dont on ne saurait dire si l’écrivain la met à nu ou s’il tente d’en
sauvegarder, d’en restaurer les réseaux, les connexions, l’épicentre. S’il y a
bien quelque chose de l’ordre d’une confession, il est absolument remarquable
que Toledo ne faillisse jamais dans le péché d’impudeur. On se demande par
moments si sa grande élégance n’est pas aussi le fruit d’une espèce
d’inadéquation à la vie, et pas seulement à la vie moderne. Toledo donne toujours
cette impression d’un certain ahurissement devant ce que les hommes font de la
vie et du monde ; c’est cet ahurissement, peut-être, qui le conduisit aux
colères d’Archimondain jolipunk :
c’est ce même ahurissement qui nourrirait désormais cette langueur
introspective dont chaque mot nous fait toucher du doigt la part de douleur, de
culpabilité, d’amputation, la souffrance de se sentir « en morceaux. »
Ce travail, qui n’est d’ailleurs
pas tant d’introspection que de compréhension ou d’excavation de soi dans
l’univers des hommes et de la culture, n’est sans doute possible que parce que
l’écrivain dote l’écriture d’une fonction heuristique presque exclusive :
ici, il s’agit de « dénicher le savoir du
livre, ce qu’il permet de saisir de ce que nous sommes » ; là,
d’explorer la « galerie de notre
orphelinat : une généalogie sans racines » ; là, encore,
d’« affleurer mon temps, les
qualités étranges de ma présence, ici, dans ce livre et sur cette Terre. »
C’est aussi ce qui fait de ce livre, nonobstant la modernité ou l’extrême
liberté de sa forme, une sorte de livre à
l’ancienne, où affleure sans cesse la « nostalgie de la vieille Europe » et de sa « culture taillée autour des livres »,
cette Europe dont il pleure aujourd’hui la «
bibliothèque d’assassins et nous, au milieu, en solde : dix centimes
d’euros pour un giga de mémoire. » L’on perçoit, ici et là, quelques
réminiscences mitteleuropéennes, sous la forme d’une hantise identitaire, d’une
attention viscérale aux fractures, aux réconciliations, aux mille exils de
l’homme dans sa propre existence, et à l’histoire bien sûr, à cette « césure, là, juste sur la lèvre des
siècles. »
Reste la part intime. Celle dont
on ne saurait dire ici plus qu’il ne convient. Le père. La mère. Le frère. Et
lui, le fils, donc, qui, devenu père, progresse pied à pied vers la « contre-fiction du fils qui creuse à
l’intérieur de la fiction du père. » Porté par une écriture vive,
précise, perforante, une écriture qui sait aussi être bellement classique,
Toledo a écrit là un livre inclassable, nécessaire, en vérité assez inouï si
l’on songe seulement à son jeune âge encore – si tant est qu’il est un âge plus
propice qu’un autre pour s’acharner à inventer une « écriture par laquelle nous tentons de relier, repriser, repiquer les morceaux
de ce qui fut une vie. »
G@rp, c'est la faute au point cuspidal, j'ai fait un grand 8 par retournement d'espace et me voilà ici pour te dire que ta critique c'est comme des bulles de champagne. Tu peux dire à Lazare que je n'ai pas eu besoin d'aller à la BU, sur ma table chambres séparées de Pier Vittorio Tondelli et vies potentielles de Camille de Toledo, quel va être le débord dont parle Abdelwahab Meddeb (que je crois bien avoir reconnu même si je ne vois pas bien son visage, sa voix tout de même il semble bien) à Edouard Glissant dans la vidéo visible dans le labyrinthe, rien n'est vrai tout est vivant, à 33mn 58s, une créolisation a lieu, rupture autrement dit solution de continuité.
RépondreSupprimerQuel intervalle entre les 2 livres va opérer ? C'est pourquoi je perds mon temps sur la blogositosphère littéraire, c'est vivant plus que vivant, "le vivant change en soi-même". C'est l'humanité un film qui m'a beaucoup marquée également voir extrait dans le labyrinthe. C'est un poing dans la bouche à côté d'une abbaye que je connais si bien. C'est la chanson de ... et tellement encore, un infini non linéaire.
Rhizome hors labyrinthe : 88 constellations, dans le festival de la Balsamine sur le lien je lis ceci à droite en haut : Pour paraphraser Deleuze (une fois de plus, nous nous en excusons d’avance) : « la matière-pince est une matière-temps ». C’est là que se compressera une forme sans cesse en train d’advenir.
temporel