Un bon vieux Bordeaux
Marc Villemain
Éditions du 28 août |
Car c’est à une sorte d’élégie
des mondes engloutis que nous convie Jean-Claude Lalumière, le temps d’un polar
dont le charme un peu désuet est souvent irrésistible. Polar quasi social
d’ailleurs, car, non content de faire revivre une époque, il donne des
ouvriers, des petits commerçants et des gens de peu une peinture pleine de
tendresse et d’empathie, peinture que domine un sentiment de noblesse de classe
et de pudeur fraternelle. Tout cela est peut-être un peu idéalisé, mais après
tout pas si désagréable à lire, dans une période où la figure du héros se
confond souvent avec celle du manager transfrontalier défiscalisé – quand ce
n’est pas celle du politicard au bras d’un mannequin croqueur de mâles. Il y a
quelque chose de Simenon dans cette manière de s’attacher un univers laborieux
et d’éclairer le dénuement sans alourdir le trait ; et l’on pourrait
convoquer jusqu’aux mânes de Dashiell Hammett, fin connaisseur (et pour cause) de la brutalité syndicale et
sociale. Point de syndicat ici, toutefois, et l’on voit mal en effet quelle
union ouvrière pourrait s’intéresser à ces hommes dont l’avenir est non
seulement tracé, mais pour l’essentiel derrière eux. Ils ne peuvent donc que
s’en remettre à eux-mêmes – mais il est vrai que l’existence les y a habitués.
La galerie de portraits est d’ailleurs plutôt réussie, de Marcel Cliquot, dit
« Coquelicot », un privé
comme on n’en fait plus et dont la retraite sera moins paisible qu’escomptée, à
son vieil ami « le Grand
Francis », en passant par Christian Laruelle, le patron du « Rendez-vous ». A travers eux, une
petite communauté fière et généreuse va se retrouver compromise dans un
imbroglio qui, d’une simple affaire de résistance à un projet immobilier,
tournera, trafic de stupéfiants aidant, au règlement de compte sanglant.
Jean-Claude Lalumière se moque
bien d’apparaître comme moderne. Même si le coup du mégot enfoncé dans
l’oreille en guise de cendrier pourrait ne pas déplaire à un Tarentino, nous
sommes ici face à une sorte de standard du
roman policier : des acteurs qui semblent nés pour jouer leur rôle, et
rien que leur rôle, une mécanique narrative linéaire très éprouvée, une
technique descriptive qui vise à l’essentiel, une volonté délibérée de fuir
tout effet de manche ou de style. Cet absolu classicisme pourra décevoir tel ou
tel lecteur, plus désireux de se sentir malmené, mais il n’est pas étranger à
un plaisir, ou à un type de plaisir, que seule permet une texture sans apprêt.
Quelques traits s’avèrent certes un peu convenus, et les effets de surprise
sont au bout du compte assez peu nombreux. Ce roman exerce pourtant une vraie
séduction. Cela tient au récit, charpenté, bien mené, mais plus encore à ce
spleen lointain dont il est emprunt, au spectacle un peu désolé de ces mondes
que la modernité sociologique enterre à la va-vite et sans le moindre état
d’âme. Reste à Jean-Claude Lalumière, une fois faite la démonstration de son
talent à mener l’enquête, à ciseler une écriture qui manque parfois d’un peu de
nerf et à la libérer de quelques timidités. Nous tiendrons alors un fameux serial writer.
Article paru dans Le Magazine des Livres - N° 8, Janvier/février 2008
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire