Spiderman ou le malaise du
quadragénaire
Marc Villemain
Éditions Léo Scheer |
Oubliés, les grands froids climatiques et métapolitiques de Nord, son précédent roman paru chez
Belfond : c’est au pesant engourdissement des mœurs contemporaines que
Fabrice Lardreau s’attaque avec Un
certain Pétrovitch, roman qui, sous des allures autrement légères, n’en
cultive pas moins un égal scepticisme quant à l’état de ce pauvre monde où nous
errons, vaille que vaille.
Intégrité oblige, il importe de signaler que j’avais connaissance de
longue date de cette intention, Fabrice Lardreau ayant été l’un de mes
complices sur le blog des « 7 Mains » (clos depuis longtemps, mais
intégralement en ligne), où il expérimenta ce projet littéraire au prétexte
assez original. Car si le propos fait depuis longtemps le suc de la littérature
mondiale (en gros : les affres d’un individu moyen dans une société
moyenne), son traitement ne manque, lui, pas de sel. Patrick Platon Pétrovitch
(c’est son nom) est un rond-de-cuir des plus ordinaires : effacé, docile,
méthodique et routinier. Employé comme comptable au sein d’une Fédération
sportive, il ne montre dans son emploi pas plus de talents qu’il ne brille dans
sa vie par sa personnalité. Reste que la banalité de ce que nous sommes en
plein jour ne peut pas ne pas nous tarauder au beau milieu de la nuit – pour
peu, bien sûr, que nous ne soyons pas absolument dépourvus de cervelle ni de
conscience : c’est un bienfait du fantasme que de nous aider à lutter contre ce
qui ne peut pas, à un certain moment de notre propre existence, ne pas nous
apparaître comme de la médiocrité. La quarantaine semble un âge idéal pour
fomenter ce genre de sentiment dubitatif, mais nous y reviendrons. Depuis que
Pétrovitch, au cours d’une adolescence entièrement vouée au rock (presque) dur
et après avoir échoué à rejoindre John Bonham (Led Zeppelin) au panthéon des
batteurs de légende, a lu Le Manteau,
la nouvelle de Gogol, il faut dire que son existence s’est comme soudainement
éclairée. Et, à l’instar du personnage de l’écrivain russe, il va lui-même
passer sa vie à chercher son propre Manteau, comprenez son graal, son talent
ultime, le sens de la vie, bref les obscures mais transcendantes raisons à même
de justifier son passage sur terre. Qu’on se le dise : Athènes avait
Thésée, le monde contemporain aura Pétrovitch, alias Spiderman. À chacun sa Révélation. Ce qui n’ira pas sans mal, vous
imaginez bien, l’utilitarisme et le consumérisme du temps se mariant assez mal
avec un aussi romantique projet.
Je vous laisse découvrir les innombrables gags, facéties et autres
clins d’œil appuyés dont regorge cette histoire menée tambour battant – notre
homme faisant davantage penser à Gaston Lagaffe qu’à l’athlétique et
surpuissant Spiderman. Mais Lardreau rit-il aussi franchement que cela ?
Et de quoi rit-il, d’abord ? De nous, de lui. De la misère spirituelle du
temps, de nos servitudes volontaires,
de la lourdeur des héritages sociaux et de la frénétique vacuité des emplois
humains – Montaigne parlait de « vacations farcesques. » Le lisant,
j’ai souvent pensé au Front russe, de
Jean-Claude Lalumière (autre cheville ouvrière des « 7 mains »…),
paru il y a un peu plus d’un an : là aussi, il était question d’un
quadragénaire un peu perdu dans son temps, porté à la dépréciation de soi,
nostalgique d’une certaine grandeur comme le personnage de Lardreau peut se
montrer désireux de sublimer sa condition sociale. Le loser de Lalumière nous faisait rire par l’application qu’il
mettait à s’intégrer et par sa manière
concomitante de démissionner du conflit social : chez Lardreau, l’anti-héros qui se rêve en super-héros nous fait rire par son
inadaptation, sa maladresse, son esprit de sérieux, l’hénaurmité de ses ambitions en regard de ses moyens réels.
Serions-nous donc face à une sorte de syndrome générationnel ? Je ne suis
pas loin de le penser. Je ne suis pas loin de penser, en effet, que quelque
chose a pu se développer dans les traces ou les parages d’un Houellebecq,
quelque chose qui aurait trouvé dans l’arme de l’autodérision, du sarcasme
doux-amer et du détachement sceptique, une façon de répondre aux quolibets du
monde et de mettre en forme son relatif désarroi. La masculinité, l’autorité,
le renouveau du féminisme, la paternité, le couple, le sexe, la réussite
sociale et ses conformismes, l’empire des diktats sociaux et culturels :
autant de sujets auxquels se confrontent aujourd’hui les hommes de la quarantaine, enfants de 68 et de
son retour de bâton, du matérialisme triomphant et de la défection idéaliste,
héritiers malgré eux d’un modèle patriarcal qui a du plomb dans l’aile (ce dont
ils ne peuvent pas ne pas se féliciter, mais qui les accule à inventer d’autres
espaces, une autre temporalité où poser leur individualité – j’allais dire à repenser la carte de leur nouveau territoire.)
Ces conditions socio-historiques ont entraîné une sorte de dépoétisation générale du monde, dépoétisation à laquelle l’individu conscient (et artiste) ne peut pas ne pas réagir. Fabrice Lardreau le fait, donc, à sa manière, sans prétention ni affèterie, au détriment peut-être d’un style dont l’imparable efficacité se paye parfois d’un défaut de patte ou de texture, et que j’aurais aimé, pour le coup, peut-être un peu moins contemporain, mais arcbouté sur une composition très astucieuse, pleine d’esprit, d’acuité, de drôlerie, dont on retiendra d’abord l’indiscutable talent narratif. On lira, donc, ce Pétrovitch d’une traite ou quasi, en pouffant et en s’esclaffant, mais en sachant bien que ce rire-là n’a rien d’innocent – qu’il est, aussi, la politesse d’une certaine désespérance.
Ces conditions socio-historiques ont entraîné une sorte de dépoétisation générale du monde, dépoétisation à laquelle l’individu conscient (et artiste) ne peut pas ne pas réagir. Fabrice Lardreau le fait, donc, à sa manière, sans prétention ni affèterie, au détriment peut-être d’un style dont l’imparable efficacité se paye parfois d’un défaut de patte ou de texture, et que j’aurais aimé, pour le coup, peut-être un peu moins contemporain, mais arcbouté sur une composition très astucieuse, pleine d’esprit, d’acuité, de drôlerie, dont on retiendra d’abord l’indiscutable talent narratif. On lira, donc, ce Pétrovitch d’une traite ou quasi, en pouffant et en s’esclaffant, mais en sachant bien que ce rire-là n’a rien d’innocent – qu’il est, aussi, la politesse d’une certaine désespérance.
Article paru dans Le Magazine des Livres, n° 34
http://solko.hautetfort.com/archive/2011/10/28/d-un-nikolai-l-autre-un-certain-petrovitch-de-fabrice-lardre.html
RépondreSupprimer