Voici le temps des Assassins
Éric Bonnargent
Stefano Bombardieri |
Cette première partie est constituée de petits paragraphes semblables aux éclats d’obus parmi lesquels le sergent Steve Kerinsky tente de survivre alors que ses camarades s’effondrent les uns après les autres. Il y a d’abord eu Zack « et puis, un peu plus tard, ç’avait été au tour de Stu, même quand ça bardait. On n’était jamais déprimé quand on patrouillait avec lui. Sa dernière blague avait été interrompue par une balle dans la gorge. Dieu n’avait décidément aucun humour. Ou bien alors, un humour sacrément noir… » Soldat dans les Forces Internationales Unifiées pour la Paix, Steve Kerinsky qui « notait les chiffres, établissait des courbes, des diagrammes, faisait des statistiques », qui « disait vouloir comprendre la guerre à travers sa manifestation la plus tangible : les cadavres » va être peu à peu emporté par l’absurdité d’une guerre interminable, sans vainqueurs ni vaincus. La violence et la déréliction sont le quotidien des autres narrateurs de cette première partie, de la journaliste Sheryl Boncœur et de Bill, son caméraman qui sont prennent tous les risques pour nourrir le voyeurisme des téléspectateurs, notamment en acceptant d’interviewer un tueur en série qui, déguisé en toon, décapite des femmes. Les autres narrateurs de cette partie dont l’unité se construit au fur et à mesure sont Lee Jones, un écrivain raté qui tapisse les murs de son appartement de lettres de refus, mais aussi Waldo, un chien, les couleurs de l’arc-en-ciel et Lilith, principe cosmogonique d’un monde livré au chaos.
La partie suivante, « Taureau jaune », dont l’action se passe quelques années plus tard, a pour figure centrale le commissaire Georg Ratner qui, déchiré entre le désir pour sa maîtresse et l’amour de sa femme, est harcelé par Ribane-Ribane, un autre tueur en série dont l’arrestation ne l’intéresse pas vraiment. La violence et la misère ont encore gagné du terrain et ce n’est qu’en faisant appel à ce qu’il y a de plus fondamental, à d’ancestrales forces obscures, que le commissaire parviendra à trouver une solution à tous ses problèmes.
Avec « Les Jardins de Babylone », la prophétie d’Arthur Rimbaud s’est réalisée : « le temps des Assassins » est venu. La violence est devenue telle que l’État se contente maintenant de la gérer, notamment en légalisant des compagnies d’assassins. Speedy Jimmy, le personnage principal, est membre de la plus prestigieuse d’entre elles, la Guilde des Poètes Assassins, « un gang de tueurs à gages uniquement composé de jeunes écrivains qui, en paiement de leurs actions, avaient le privilège de voir leurs œuvres publiées dans une des prestigieuses collections des Nouvelles Éditions babyloniennes. » D’autres personnages, très différents les uns des autres, peuplent cette dernière partie, notamment Cassandra, prophétesse junkie, et Stefan Marcovitch, l’auteur d’un best-seller illégal.
Contrairement à ce que ces quelques lignes pourraient faire croire, cette trilogie constitue bien un roman. Certains personnages sont présent dans chacune des parties et des liens sont établis entre la plupart des autres. Sébastien Doubinsky nous invite à suivre l’évolution d’un monde en perdition qui pourrait être le nôtre. Livrées au nom de la liberté, les guerres s’enlisent dans le bourbier de leur inanité, les images télévisées créent l’actualité, l’obsession de l’insécurité la génère et ce sont finalement les libertés qui disparaissent peu à peu. La Babylone moderne sombre dans toutes les dérives démocratiques que craignait Alexis de Tocqueville. Seul l’art permet une échappatoire. La Trilogie babylonienne semble être ainsi le pendant pessimiste des Chroniques de la dernière révolution d’Antoni Casas Ros.
Sébastien Doubinsky, La Trilogie babylonienne. Traduit de l’anglais par l’auteur. Joëlle Losfeld. 20 €
Article précédemment paru dans Le Magazine des Livres
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire