La voie mêlée de Dominique Mainard
Marc Villemain
Éditions Joëlle Losfeld |
L’idée de départ est excellente.
Par sa simplicité immédiate, par l’évidence de son objet, mais aussi en ce
qu’elle pourrait résumer à elle seule la notion même de roman : non pas extrapoler, non pas inventer, mais tirer le
fil du réel et l’emmener au bout du bout, faire faire ou faire dire au réel ce
qu’il ne saurait assumer sans conséquence ni danger.
L’héroïne, Delphine, a tout
compris de notre société de
services : les gens sont prêts à n’importe quoi pour qu’on leur
facilite la vie, pour qu’on panse leurs plaies, pour qu’on satisfasse leurs
désirs, pour qu’on leur donne ne serait-ce que l’illusion d’un bonheur. Tout se
vend, tout s’achète : les affects pas moins que les produits de
consommation courante. Forte de cette intelligence, Delphine crée Pour Vous, une petite société qui
propose un panel de services aussi variés que sortir l’aïeul dans le parc et faire
les courses d’une vieille dame, offrir de la compagnie à des ados désœuvrés ou
à des hommes délaissés, et jusqu’à louer « un
enfant à aimer deux après-midi par semaine » à un couple stérile,
voire porter l’enfant d’une autre. Ce serait à peine exagérer que de dire qu’il
y a dans cette activité quelque chose qui relève d’une sorte de soin palliatif,
voire de thanatopraxie du vivant. Et cela marche, à merveille. Pas très légal,
sans doute, mais il faut bien faire face à une demande qui ne fait que croître
– les misères, petites ou grandes, sont innombrables, et tout le monde est prêt
à payer pour s’offrir de l’apaisement, fût-ce sous forme d’illusion. C’est une
entreprise cynique ? À peine. Plutôt l’usage à fins commerciales d’une
lucidité infinie et douloureuse : « La
vie m’a appris qu’il n’y a rien de moins réel que ce qu’on nomme la réalité et
qu’une mort, une trahison, une souffrance cessent d’exister du moment qu’on
arrive à s’en distraire. » Il faudra bien pourtant que la machine
s’enraye à force de s’emballer, et que Delphine tombe sur un os.
Inutile de dire que Dominique
Mainard mène son récit avec beaucoup d’intelligence, de minutie, de vitalité
aussi – on l’entend presque sourire, à telle ou telle occasion, ou lorsque elle
consigne sur le grand cahier de comptes les factures que Delphine adresse à ses
clients. Il est agréable aussi de lire sous la plume d’un écrivain de ce temps
autre chose qu’une ode à l’en-soi de la victime, quelque chose qui sache griser
d’humour et de compréhension les écarts humains, qui n’opine pas du chef devant
l’argument d’autorité de la sensiblerie. Ce qui ne signifie pas, loin s’en
faut, que le sentiment déserte ce
récit : mieux, c’est sans doute au prix d’une lutte avec elle-même,
presque en reniement d’elle-même, en tout cas en connaissance de cause des
limites morales de l’exercice et dans l’anfractuosité qui s’y dessine, que
Delphine parvient à cet effort de pure exploitation commerciale des misères
humaines. Parmi d’autres « lapsus », il y a cette jolie phrase, plus
ambiguë, plus polysémique qu’il y paraît peut-être de prime abord : « j’avais compris qu’il y avait
beaucoup à gagner pour qui pensait, comme moi, qu’un enfant, fût-il de chair et
d’os, n’est qu’un rêve comme un autre » – la raison, l’appât du gain,
n’estompent jamais complètement la persistance du rêve.
D’où vient, alors, malgré le très
grand plaisir que m’auront procuré cette lecture et la relative perfection du
romanesque, que le livre me soit apparu moins accompli que les
précédents ? Sans doute parce que son apparence plus légère, cette forme
d’humour aigre-doux que l’on ne connaissait pas à Dominique Mainard, cet usage
un peu plus relâché des dialogues, ce sujet, qui n’est pas sans profondeur mais
qui apparaît aussi plus sociétal,
moins onirique, moins empreint des univers singuliers qui faisaient la magie
habituelle de ses romans, me laissent avec l’impression d’un livre qui
viendrait d’un peu moins loin. Si Pour
vous trouve évidemment sa place, et toute sa place, dans une très belle
œuvre, je ne peux m’empêcher de penser que, si Dominique Mainard a toujours été
naturellement et étrangement efficace, elle semble ici rechercher l’efficacité pour elle-même. Comme si sa traduction
au cinéma (le film d’Alain Corneau, réalisé à partir de Leur histoire et intitulé Les
mots bleus) lui avait donné un appétit nouveau, et que s’était immiscée
dans son paysage mental une manière autre, plus immédiate, plus
kaléidoscopique, plus matérielle, de suggérer pensées et situations. Cela
n’enlève rien aux qualités habituelles de l’écrivain, qui sont grandes, mais
cela nous les rend plus ordinaires, comme si, au plaisir immédiat d’une bonne,
d’une excellente histoire, faisait contrepoint un usage simplifié, plus lisse,
de l’imaginaire. Pour vous n’en
demeure pas moins un roman qui appartient à la fois à notre temps et à la
temporalité irréductible de la littérature. S’il ne permet pas de crier au
génie, s’il peut nous laisser sur notre faim, non en lui-même, mais en regard
de ce que nous savons de l’œuvre de Dominique Mainard, il vient au moins, et ce
n’est pas rien, confirmer le talent d’une des valeurs les plus sûres de la
littérature française.
Critique parue
dans Le Magazine des Livres, n° 13, décembre 2008 / janvier 2009
La raison pour laquelle la critique est difficile. Nos exigences sont parfois comblées par un passage dans le livre qui va changer quelque chose en nous et ce ne sera pas forcément le même pour tous. In Faux raccords de Elie During c'est le travelling arrière de Hitchcock et dans un livre de Hubert Lucot, il faudra lire ses livres pour retrouver (j'ai oublié où), c'est la haute résolution et la pixellisation de l'image dont il parle qui vont ouvrir de nouvelles recherches dans l'image.
RépondreSupprimerQu'est-ce que l'image selon l'époque où on la regarde ? In La main de singe, blog ou site littéraire, une entrevue filmée révélatrice de ce qui est donné à voir. Le critique de cinéma interroge Jayne Mansfield, il se fait mousser pour remporter l’adhésion au détriment de celle qu'il a en face de lui et le lâche à un moment donné demande même au traducteur de ne pas traduire en américain ce qu'il dit en français pour faire rire. Ce crétin diplômé n'a pas dû beaucoup lire les livres de Georges Perec ou Paul Valéry, il aurait ainsi compris que le codage ne sert pas à défoncer l'autre à son insu mais à créer des espaces ouverts. Il tente de dépeindre une idiote sans comprendre son idios à elle avec ensuite des euphémismes douteux débités. Elle, est digne et je capte son regard intelligent, ses rictus légers d'agacements, ma persistance rétinienne vers la pertinence en vain, à cette époque, de ses propos et si autrefois ce crétin de service a gagné tous les suffrages avec sa vulgarité bien pensante, aujourd'hui le regard a changé c'est elle qui triomphe par sa dignité et sa performance incomprise. Je préfère cent fois les cyber-bécassines de Gilles Châtelet dans Vivre et penser comme des porcs, Les Enjeux du mobile, etc, aux bécassines du metteur en seins, de ce critique si renommé dans sa France ringarde. Je le dis ici la contrainte m'oblige à rester dans le tétragone, géométrie plane vers une 4e dimension.
Par une traduction française de l'alphabet votre somme gématrique fait alliance littéraire avec le proprio de Littérature, traduction, c'est le Gématron qui le dit il a été créé par un astrophysicien sur la demande d'un ami oulipien qui a largement détourné, avec ses inventions sur les coïncidences, mes recherches géométriques en partitions musicales, oscillations, boustrophédon.
Bartleby n'a pas la même somme gématrique que L’œil en marche pourtant je me demande s'il n'a pas fait une petite visite chez lui, petit clin d’œil à l'accent aigu.