Entre les mots
Marc Villemain
Éditions Finitude |
Bien connu comme scénariste pour
ses collaborations avec Théo Angelopoulos, Thanassis Valtinos l’est un peu
moins en France comme écrivain, quoiqu’il y soit de plus en plus traduit. Ainsi
les éditions Finitude, qui n’en finissent pas de jouer leur rôle de défricheur,
regroupent-elles ici douze récits, dont le plus ancien, qui donne son titre à
ce recueil, date de 1960. L’ampleur chronologique est d’ailleurs intéressante
en soi, permettant de constater qu’un écrivain n’en finit jamais de débrouiller
le même écheveau : la variété de formes dans laquelle le temps l’enveloppe
n’en affecte au fond pas grand-chose.
Aussi bien, tous les récits de
Valtinos ont à voir avec une réalité grecque que taraude bien souvent l’esprit
de la guerre, lequel pèse d’abord sur les humbles, les travailleurs, ceux qui
n’affichent ni prétention ni ambition, et du genre plutôt taiseux, des vaincus
pour la plupart. Gilles Ortlieb a raison, dans son avant-propos, d’écrire que
la « couleur locale » de ce
recueil s’estompe assez vite, au profit d’une unité narrative et d’une tonalité
assez imperturbables. Aussi, une fois que l’on s’est accoutumé à la matière
très épurée de ces textes, à cette manière un peu blanche de rapporter tant
d’événements intimes, en épousera-t-on d’autant mieux la grâce un peu
mélancolique, tantôt résignée, tantôt nettement plus sardonique, et toujours
plus moderne que ce que pourra laisser une première impression. Cette narration
un peu glaciale, presque atone, peut au départ laisser craindre que l’auteur
s’applique à un style, qu’il se tient à une méthode, qu’il vise à un objectif
esthétique déterminé : or non, pas spécialement ; et cette façon bien
à lui, sèche, distante, faussement nonchalante, d’une neutralité qui tourne au
jeu, nous renvoie finalement à un sentiment très carné d’humanité. Ce qui nous
laisse à penser au passage que Thanassis Valtinos est sans doute très présent
dans ces portraits d’hommes et de femmes, courageux sans forfanterie,
orgueilleux par noblesse d’âme, fiers sans doute de leur patrie, toujours un
peu circonspects quant à ce qui anime les intentions du voisin – mais toujours
là pour s’assurer qu’il se porte bien, voire pour le secourir.
J’aurais aimé parfois que
certains récits aillent plus loin, qu’ils malaxent un peu plus de chair, qu’ils
acceptent, en quelque sorte, d’épaissir ce qu’ils dévoilent. Il n’empêche que
nous quittons chacun d’entre eux en emmenant avec nous une projection paysagère
particulière, quelque chose qui s’ajoute comme en surimpression aux seuls
événements que les mots dessinent. Et que nous les quittons sans que s’estompe
la petite voix singulière, et authentique, d’un très grand écrivain.
Traduit du grec par Gilles Ortlieb
Critique parue dans Le Magazine des Livres, n° 13, décembre/janvier 2009
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