Sublime ennui
Marc Villemain
Éditions Joëlle Losfeld |
Le Ver dans la pomme est de ces livres dont il serait aisé, et
peut-être opportun, de dire le plus grand bien. Nous nous inscririons alors
sans trop de risques dans les pas de John Updike, Saul Bellow, Raymond Carver,
Vladimir Nabokov ou Philip Roth, pour ne citer que les plus illustres de tous
ceux qui ont encensé John Cheever – et que la quatrième de couverture
répertorie avec obligeance... De fait, nous chercherions en vain
quelque défaut que ce soit à ce recueil, et de manière générale à cet auteur,
mort il y a vingt-cinq ans et objet d’un culte de son vivant même. Car voilà un
écrivain qui a tout pour satisfaire un certain goût européen, ou disons une
certaine esthétique européenne de la littérature. D’un genre d’élégance devenu
plutôt rare, l’écriture de John Cheever s’attache à des univers un peu désuets,
plutôt distingués, bourgeois, aristocratiques, volontiers romains, et les
dissèque avec force détails et sans faute de goût, avec une distance et un
humour aussi aérien que sardonique, d’esprit d’ailleurs bien plus british que typiquement américain. Bref,
Cheever est un écrivain qui, s’il était davantage traduit et mieux connu, se
verrait assez vite honorer en Europe du statut de classique, et cela d’autant
plus qu’il manifeste, et revendique, un goût prononcé pour les paysages, les
atmosphères, les invariants familiaux et psychologiques, et qu’il n’use d’aucun
gadget ni ne tombe dans aucune facilité narrative. « Pourquoi est-ce que je préfère décrire des cloches d’église et
des nuées d’hirondelles ? Est-ce puéril, est-ce une mentalité de carte de
vœux, un refus saugrenu et efféminé de regarder les choses en
face ? », fait-il dire à son personnage dans Les Bijoux des Cabot, nouvelle qui clôt ce recueil et s’y
distingue.
Il y a donc quelque chose de délicieusement irréprochable dans ces
nouvelles, dont la profonde intelligence, qui plus est, pourrait désamorcer le
plus ombrageux des critiques. Le seul problème, qui n’est pas secondaire, est
que l’on s’y ennuie ferme. C’est un ennui assez sublime, qui ne dispense pas du
plaisir à prendre une bonne leçon de style, mais le fait est qu’à la longue, on
cherche un peu désespérément un ressort autre que l’amusement de l’auteur à
décortiquer ces mêmes et sempiternels univers familiaux et quotidiens, fût-ce
pour mieux faire apparaître l’irréductible solitude de ceux qui n’y adhèrent
pas naturellement. Sous couvert de quelque petite intrigue sans importance,
l’écrivain ne cesse en fait de polir et d’ajuster son style. Lequel est assez
magistral, en effet, mais cette excellence-là ne suffit pas toujours à nous
dissuader de bâiller. Écrites
avec un goût prononcé pour la digression naturaliste et pour la circonvolution
sociologique, excellemment traduites (mention spéciale à Dominique Mainard),
ces nouvelles nous offrent donc un bon aperçu des univers et des visions de
John Cheever, même si la compilation opérée ici relève parfois de l’insondable
mosaïque. Enfin l’on ne peut pas ne pas évoquer cette manière, sans doute assez
moderne, de laisser les histoires s’achever comme elles viennent, et cette
façon un peu guindée de ne pas les clore. Certes cela désarçonne au début, mais
cela finit aussi par devenir prévisible, et parfois un peu artificiel. Du coup
l’on pensera à Raymond Carver, qui avait ce génie-là, mais chez qui on sentait
que le souffle se brisait sur quelque chose d’époumoné, d’exténué et de
viscéral qui, ici, finit par nous manquer.
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Dominique Mainard
Article paru dans Le Magazine
des Livres, n° 12, octobre/novembre 2008
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