lundi 10 septembre 2012

Brian Evenson, Inversion

Le corps sans organe

Éric Bonnargent

Francis Bacon, Figure écrivant réfléchie dans un miroir.
Le personnage central de ce roman est Rudd Theurer. Lorsque le roman s’ouvre, Rudd est un jeune garçon qui vit seul avec sa mère dans l’austère tradition de l’Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours, plus connue sous le nom d’Église mormone. Brian Evenson sait de quoi il parle lorsqu’il évoque le mormonisme : il fut lui-même prêtre mormon et professeur à l’Université mormone de Bringham. Son premier recueil de nouvelles, Altmann’s Tongue, ayant été jugés non-conforme au dogme, Evenson dut rompre avec l’Église, l’Université et sa famille pour continuer à écrire. Inversion ne doit cependant pas être compris comme un règlement de compte avec le mormonisme car si certains de ses aspects les plus opaques y sont dévoilés, s’il constitue le ferment de l’inquiétante histoire de Rudd, il ne s’agit que d’un ferment contingent… quoique…
Parce que ce à quoi nous invite Evenson, c’est à un voyage dans la psychose, à un voyage en schizophrénie. On va en effet découvrir peu à peu que Rudd souffre de cette maladie et c’est de son point de vue de plus en plus délirant que l’histoire est racontée. Selon Freud, il y a des familles schizogènes. La famille schizogène est une famille dans laquelle il y a une défiguration du rôle maternel jointe à une annihilation du père dès le plus jeune âge. C’est dans cet environnement que grandit Rudd. Son père est mort et ce n’est que par la rumeur que Rudd sait qu’il s’agissait d’un suicide. Il lui est impossible d’en parler avec sa mère, froide, autoritaire et culpabilisatrice ; le sujet est un tabou absolu.
Néanmoins, ce n’est pas sous le signe de Freud que ce livre est écrit, mais sous celui de Deleuze à propos duquel il a lui-même écrit par ailleurs :

« Sans Gilles Deleuze, l’écrivain Brian Evenson n’aurait jamais existé. »[1]

Inversion n’est pas qu’un roman deleuzien. Bien qu’il soit une tentative de description positive de la schizophrénie, il serait réducteur de le limiter à cela car ses qualités sont multiples. L’écriture est froide et précise, le rythme et la construction sont en parfaite adéquation avec le propos (nous y reviendrons) et le lecteur est “pris” par l’histoire, manipulé par l’auteur au point de comprendre différemment tout ce qu’il a lu jusqu’alors lorsqu’il atteint la troisième et dernière partie. Il y a de plus plusieurs niveaux de lecture : une histoire à suspens, une plongée dans l’Amérique puritaine d’aujourd’hui et dans l’histoire du mormonisme, un roman psychologique, etc. ; il n’y a donc pas besoin d’avoir lu Deleuze pour apprécier ce roman. Lorsque l’auteur reconnaît sa dette envers Deleuze, il veut simplement rappeler que la lecture du philosophe lui a ouvert les portes d’un nouvel univers, une approche radicalement nouvelle de la folie que nous allons essayer d’analyser.

Rudd est, nous l’avons dit, un enfant complexé qui porte son corps « comme une défroque de plus en plus piteuse. » Il fréquente une école mormone dont l’enseignement dogmatique ne le convainc pas. Il est tenu à l’écart et se laisse la plupart du temps maltraiter par ses camarades, sauf lorsqu’il est pris de crises de violence qui le poussent à les frapper violemment.
Un jour que sa classe travaille sur le sujet de la famille et qu’il doit reconstituer son arbre généalogique, il se souvient de lettres trouvées plusieurs années plus tôt dans les affaires de son père dont l’une est une demande de reconnaissance en paternité du jeune Lael de la part de sa mère, Anne. Il retrouve son demi-frère dans une ville voisine, à Springville. Lael est un garçon taciturne, violent qui vit avec sa mère à moitié folle qui ne semble pas le connaître. La relation entre les deux frères est ambiguë : Lael a une emprise sur Rudd dont il profite avec sadisme.

C’est lorsqu’il rentre en terminale que la vie de Rudd va définitivement basculer. Mrs Madison, la professeure d’anglais, demande à ses élèves de faire un exposé sur leur héros. Rudd dit ne pas en avoir et lorsque Mrs Madison lui dit qu’il ne s’agit pas forcément d’une personne célèbre, que ça peut être son père, Rudd répond que non puisqu’il est mort. En faisant des recherches à la bibliothèque, tombe sur un fait-divers et choisit son protagoniste pour faire son exposé : William Hooper Young.
William Hooper Young est le petit-fils de Brigham Young, l’héritier de Joseph Smith, le fondateur de l’église. En février 1903, s’ouvre son procès pour le meurtre d’une jeune femme, Anna Pulitzer, dont le corps fut retrouvé dans la boue d’un canal. Les stigmates que présentait le corps sont intéressants : la victime a d’abord été attachée et bâillonnée au domicile de Hooper avant d’avoir eu le crâne fracturé au-dessus de l’œil droit et au-dessus de la tempe gauche et d’avoir été tuée d’un coup de couteau partant de la hanche gauche pour traverser le ventre en diagonale. Ce meurtre serait lié à la doctrine de l’expiation par le sang, doctrine contestée par l’église mormone officielle :

« La doctrine de “l’expiation par le sang” stipule que, lorsqu’un mormon a renié sa foi, il est possible de sauver son âme en répandant le sang d’une personne de qualité similaire à la victime, et que la bénédiction sera portée dans l’au-delà au crédit de celui qui a commis l’acte en question. »

Pour se faire pardonner son apostasie, il suffirait donc de répandre le sang d’une autre personne. William Hooper Young qui a été retrouvé déguisé en vagabond affirme avoir agi seul avant de prétendre avoir été aidé d’un complice qui aurait porté le coup fatal, un certain Charles Elling puis de reconnaître le meurtre avec préméditation. Qui est ce Elling ? Un complice ? Une éminence grise ? Une invention ? Lorsque Rudd aborde le sujet avec Lael, ils ne sont pas d’accord : Rudd ne croit pas en l’existence d’Elling alors que Lael est persuadé du contraire.
Quoi qu’il en soit, Rudd est littéralement obsédé par cette histoire au point de se désintéresser de tout et même d’oser refuser aller à l’église, au point de renoncer à sa foi. Ce que veut Rudd, c’est comprendre William Hooper Young :

« Les initiales de Young – W.H.Y. – étaient emblématiques ; si loin qu’il aille elles seraient toujours là, miroitantes. L’existence de Young tout entière n’était qu’une longue question renouvelée. »

L’existence de Rudd elle-même est une « longue question renouvelée ». S’il est fasciné par Hooper Young qui hante même ses nuits, il subit en même temps l’emprise de plus en plus malsaine de Lael qui l’humilie, le frappe, l’invite à le rejoindre en enfer, tout en l’aimant et en l’enjoignant sans cesse à être lui-même. Tout cela est si perturbant qu’il commence à faire des crises de catatonie (qui consistent en une incapacité d’utiliser son propre corps, le sujet se repliant totalement sur lui-même) et surtout à avoir d’étranges absences de plusieurs heures dont il ignore tout. Il se retrouve ainsi avec une pipe à la main alors qu’il ne fume habituellement pas et, pire encore, il se réveille chez lui un soir, les manches de son pull imprégnées de sang. Quelques jours plus tard, les autorités retrouvent une jeune fille ayant été étranglée puis précipitée du haut d’une falaise et dont le corps présente deux incisions, l’une au-dessus de la poitrine, l’autre en travers du ventre. Rudd, parce qu’il a le vertige, sait, malgré ses vêtements souillés, qu’il ne peut pas être le coupable et commence à soupçonner Lael. Et puis un soir, avec Lael, il se retrouve en montagne, chacun avec un couteau à la main, espionnant des randonneurs bivouaquant autour d’un feu…
Dans cette appréhension par Rudd de ce fait divers, on retrouve la première trace de la pensée de Deleuze à propos de la schizophrénie. Le premier reproche que fait Deleuze à la psychanalyse, c’est de tout baser sur l’Œdipe (d’où le titre du premier tome de Capitalisme et Schizophrénie : L’anti-Œdipe) et cela aboutit à son échec dans la compréhension de la psychose. Deleuze écrit que « le délire ne se construit pas autour du nom-du-père, mais sur les noms de l'histoire. » Or, c’est exactement ce qui se passe dans le cas de Rudd. Le père est inexistant et c’est William Hooper Young qui va servir de point de fixation.  On retrouve alors pleinement les thèses de Deleuze : le discours et le délire du schizophrène s’articulent non pas autour de l’histoire familiale, mais autour de l'histoire politique, sociale ou religieuse. En outre, la psychanalyse définit la schizophrénie par le manque, par la déstructuration, elle la réduit aux destructions engendrées dans la personnalité. Ce qui distingue en effet essentiellement le névrosé du psychotique selon Freud, c’est que chez le premier le principe de réalité est sauvé, tant et si bien qu’il peut continuer à vivre “normalement” avec ses problèmes, alors que chez le second il y a une coupure d’avec la réalité qui l’empêche de vivre. Or, se demandent Deleuze et Guatttari : « Comment a-t-on pu figurer le schizo comme cette loque autiste, séparée du réel et coupée de la vie ? » Il ne s’agit pas pour eux de normaliser le schizophrène, mais de faire remarquer que son délire n’est pas la reproduction d’un manque, mais plutôt d’un trop-plein. C’est ce qu’on retrouve chez le président Schreber (dont il faut lire les Mémoires d’un névropathe) ou chez le jeune Hans. Le premier a peur de son homosexualité, le second a été traumatisé par la mise à mort violente d’un cheval par un cocher. Leur manière de réagir a été pour le premier de devenir femme (il est persuadé que son corps se transforme afin de pouvoir s’accoupler avec Dieu…), pour le second de devenir cheval. Rudd, lui, va devenir Hooper. Toute la première partie d’Inversion nous permet d’assister à cette genèse.

Lorsque la seconde partie commence, la police vient de retrouver dans les montagnes quatre victimes toutes blessées à la gorge, à la poitrine et au bassin. Ces blessures reproduisent les marques sacrées inscrites sur les vêtements du temple mormon et symbolisant l’équerre, le signe du compas, le nombril et la marque du genou.
Une victime est encore vivante, mais dans le coma : il s’agit de Rudd. Les trois autres, également de confession mormone, sont les membres d’une même famille, les parents et l’une de leur fille. Leur seconde fille, Lyndi, dix-neuf ans, restée chez elle pour réviser ses leçons, apprend la nouvelle au journal télévisé.
Parce que Rudd est le seul survivant du massacre, parce qu’il est le seul être qui le lie à ses parents et à sa sœur, Lyndi se prend d’affection pour lui et, malgré l’hostilité de sa mère, vient le veiller aussi souvent qu’il est possible. Peu à peu, Lyndi tombe amoureuse de Rudd qui s’est enfin réveillé et lorsque celui-ci sort enfin de l’hôpital, il s’installe tout naturellement chez elle. Le comportement de Rudd est étrange. Installé dans la chambre de la sœur de Lyndi, il reste chaste, se risquant tout au plus à quelques petits baisers. S’il sait parfois se montrer attentionné, la plupart du temps il est froid au point de rester des jours entiers enfermé à double tours dans sa chambre. Lyndi, compréhensive impute ce comportement au traumatisme subi. Pourtant, Rudd est de plus en plus inquiétant. Frappé d’amnésie, il ne peut guère aider l’enquête à progresser, jusqu’à ce que des brides de souvenirs lui reviennent. Il avoue alors à la police se rappeler d’avoir été accompagné d’un certain Lael Korth de Springville. Mais la police affirme que si Anne Korth a bien un fils, il s’appelle Lyle et prétend ne pas du tout connaître Rudd. Les noms et les identités deviennent d’ailleurs source de confusion et il arrive même à Rudd de commettre des lapsus en se donnant un second prénom : ELLING… Plus Rudd se souvient de ce qui s’est passé, plus il s’enferme dans son mutisme, plus ses crises de catatonie deviennent fréquentes, jusqu’au jour où Lyndi le retrouve la gorge tranchée :

« Il gisait au sol, à la main un canif aux quatre lames sorties. Sa gorge ouverte gargouillait, le sang bouillonnant avait imbibé le col du t-shirt et commencé à couler le long du cou. Elle posa sa bouche sur la sienne et souffla, entendit le sifflement de l’air qui s’échappait par l’entaille, puis il lui toussa du sang dans la bouche. D’une main elle couvrit la blessure, sentit l’air qui rentrait et restait tandis que le sang lui suintait entre les doigts. De nouveau il toussa et elle goûta son sang, mais il respirait encore, il respirait, et les ambulanciers écartèrent Lyndi et emportèrent Rudd. »

Rudd gardera des séquelles de cette blessure puisque du sang suintera régulièrement de sa gorge profondément blessée. Ces troubles de la mémoire, ces stupeurs catatoniques et cette tentative de suicide sont les symptômes de ce que nous avons appelé en titre “le corps sans organe”. Il s’agit d’un concept mis en place par Deleuze et Guattari dans l’Anti-Œdipe. Le corps sans organe est la caractéristique du schizophrène qui se manifeste d’abord par des stupeurs catatoniques qui font qu’il se fige dans des attitudes rigides et fermées sur elles-mêmes. Ces phases atteignent leur paroxysme chez Rudd lorsqu’il se réfugie dans cette matrice artificielle qu’est le réfrigérateur. Il y a dans la schizophrénie un phénomène d’involution : Rudd, comme le nourrisson ne maîtrise par son corps et il joue avec, il l’expérimente de manière amorale. L’expression “corps sans organe” ne signifie évidemment pas que le corps du schizophrène est privé d’organes, mais qu’il ne constitue pas un organisme. En fait, Rudd, comme tout schizophrène, et c’est pourquoi nous signalions son mal-être et sa négation de toute sexualité, ressent une angoisse du fait d’avoir un corps dont il ne parvient pas à faire un tout uniforme. Le corps sans organe n’est pas vide, il est plein, plein de pulsions, de désirs, de sensations qui altèrent les automatismes corporels et qui ne parviennent pas à s’unifier pour constituer un organisme. Cette absence d’organisation fait que le corps sans organe est un corps sans image. C’est ce qui conduit Rudd à rechercher partout ce visage qu’on lui a volé, c’est ce qui fait qu’il ne parvient pas à avoir d’identité.

À sa sortie de l’hôpital, il demandera Lyndi en mariage. Elle le croit enfin sauvé. Malgré les doutes de Rudd qui estime que Dieu a tiré un rideau entre son royaume et lui, le mariage se fait selon le rite mormon.
Les époux sont séparés à l’entrée du temple afin d’être préparés à la cérémonie. Evenson nous invite à suivre la préparation de Lyndi qui est lavée, habillée des habits du temple dont les broderies lui rappellent le massacre de sa famille et elle reçoit un nouveau nom secret que seul son mari aura le droit de connaître : Rachel. Elle est alors initiée et lui est révélé le sens des symboles brodés qu’elle devra reproduire dans l’autre monde pour entrer au paradis. Le sens de ces symboles est secret et l’analogie avec le triple meurtre se poursuit :

« Des signes et symboles on passa aux sanctions – la promesse de ne jamais, sous aucun prétexte, dévoiler les signes et symboles, même au péril de sa vie. Placé dans une situation où l’on ne pourrait garder le secret, on était censé se tuer. Elle dut faire mine de s’ouvrir la gorge avec le tranchant de la main, puis poser les mains de part et d’autre de son torse avant de les laisser retomber sur ses flancs, comme si elle avait ouvert son torse et que le sang giclait le long de ses côtes. Plus tard, l’arrière de son pouce décrivit un trajet symbolique d’une hanche à l’autre, coupant les reins. »

La signification de ces signes est secrète, mais Evenson, l’apostat, nous les révèle lors de l’étape suivante de cette étrange cérémonie. Lyndi et Rudd enfin réunis franchissent un rideau bleu puis se retrouvent devant un rideau blanc :

« Un homme s’approcha muni d’une baguette avec laquelle il lissa une portion de rideau. Elle y reconnut certaines marques spécifiques, les mêmes que sur les sous-vêtements qu’elle portait. La voix désincarnée se lança, depuis le plafond, dans une explication savante des marques, assistée par l’homme à la baguette qui montrait au fur et à mesure. La marque de l’équerre, au-dessus du sein droit : ordre et précision, rectitude des actes et de la pensée. Sur le rideau, ce n’était pas seulement une marque mais une fente assez longue pour laisser passer un bras. Elle imagina qu’une main minuscule et désincarnée pénétrait la marque apposée sur sa poitrine et plongeait dans ses poumons. La marque du compas, autre fente, sein droit, signifiait que Jésus-Christ les guiderait dans la vie éternelle telle une boussole. La marque du nombril, une fente écartée : accepter que nous ne pouvons vivre sans nourriture spirituelle de la parole de Dieu. La marque du genou – qui à la différence des autres n’était pas une ouverture mais une simple marque sur le rideau : tout genou doit plier et toute langue reconnaître que Jésus est le Christ. »

Lyndi comprend alors soudainement pourquoi Rudd a survécu au massacre de sa famille : représentant la marque du genou, le tueur avait laissé une marque sur sa gorge, mais n’avait pas besoin d’un trou. Rudd n’est pas mort parce que sa mort n’avait pas été nécessaire à la réalisation de la cérémonie pervertie. Mais la cérémonie du mariage est elle aussi perverti car lorsque Rudd joue le rôle de Dieu derrière le voile pour recevoir Lyndi en mariage, il l’oblige à changer de nom secret ; ce n’est plus Rachel, mais Elling…
Dès lors, la situation s’aggrave encore. Les crises de Rudd prennent une telle ampleur qu’il lui arrive de passer des heures à rechercher son visage qu’on lui a volé dans les différents miroirs de la maison. Il refuse toujours de faire chambre commune avec Lyndi/Elling et il quitte même sa chambre pour s’installer avec toutes ses affaires dans le cabanon du jardin où il transporte même un vieux réfrigérateur.
Lyndi a peur. Elle retrouve des cartes postales signées Lael écrites de la main de Rudd. N’y tenant plus, elle force l’entrée du cabanon :

« À l’intérieur, il faisait chaud, l’odeur était épouvantable. Dès que la porte eut cédé, un essaim de mouches noires vint tourbillonner autour de sa tête, les insectes se cognant contre ses lèvres et ses yeux. Elle les chassa de la main.
Derrière la porte un drap faisait office de rideau. Rudd l’avait tailladé pour reproduire les marques des vêtements, mais à l’envers et inversées. Elle avança une main prudente, arracha le drap de la corde à linge. Derrière, les lattes déchirées du plancher démoli étaient entassées contre un mur, exposant une terre qui paraissait avoir été retournée : elle semblait meuble et Lyndi s’y enfonça jusqu’aux chevilles. Au milieu, échoué sur le dos, enfoncé jusqu’au couvercle, le vieux réfrigérateur. […] Elle se vit avancer vers le réfrigérateur et se baisser pour saisir la poignée. Elle la dégagea du verrou puis, d’un geste violent, ouvrit la porte.
La puanteur de la viande putréfiée, le cube repoussant du réfrigérateur. Une nuée de mouches noires, des mouches par milliers, une symphonie effrénée, mes mouches qui rebondissent sur ses bras et son visage avant d’aller tourbillonner dans toute la pièce. […] Les mouches tournoyèrent autour d’elle puis sortirent, et en quelques secondes elle se sentir repartir à la dérive, irrévocablement seule, parfaitement seule.
Mais l’impression fut de courte durée. Quelle était cette chose, se demanda-t-elle, qui se levait, se dressait du cube maintenant que les mouches étaient partie ? »

La seconde partie s’achève ici. Au début de la troisième qui comporte trois chapitres I, Rudd se réveille de l’une de ses absences dans une chambre sur le lit de laquelle une jeune femme qu’il ne parvient pas à identifier est attachée. Des centaines de post-it sont disposés dans la pièce : « Tu t’appelles William Hooper Young. On t’appelle Hooper » ; « Anna Pulitzer. Une connaissance, une pécheresse, aussi », etc. Rudd est perdu. Heureusement que Charles Elling frappe à la porte pour lui apporter son aide…






Brian Evenson, Inversion. Lot 49. 17 €








[1] Brian Evenson, Postface à la présente édition, in Deleuze (L’ARC/Inculte)

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