Éric Bonnargent
Nathan Sawaya |
Toute la sensualité de la Martinique transpire
de la langue riche et précise qu’utilise Roland Pottier dans les vingt
premières pages de ce qui aurait dû être un roman comme les autres. Le récit
s’interrompt soudain pour laisser place à deux pages au graphisme hélicoïdal
dont le sens est révélé par un extrait du journal de Marica, la femme de
l’auteur : alors qu’il écrivait son premier roman, Roland Pottier a été
victime d’un AVC et, en sortant du coma, il ne pouvait plus que bredouiller de
lamentables « euh »… Atteint d’une aphasie de Broca, il avait perdu
l’usage de son corps et surtout du langage oral et écrit. Comme en témoignent
les quelques pages reproduisant des lignes d’écriture et des dessins qu’il
parvint à tracer un an après son incident, Roland Pottier était retourné en enfance.
L’enfant, en effet, est celui qui, selon l’étymologie, ne parle pas. Mais alors
que l’enfant ne possède pas encore le
langage, l’aphasique ne le possède plus et il se rend compte de son
état : « À la fin de la
deuxième année je ne parlais toujours pas… […] j’errais sur l’aire de Broca
comme un pauvre hère muet. » Pendant dix ans, l’auteur a lutté pour
récupérer l’usage de ses membres et de la parole. De manière prophétique,
Baudelaire qui mourut aphasique écrivait que le cerveau humain n’est rien
d’autre qu’« un palimpseste immense
et naturel ». Roland Pottier fait sienne cette formule et, de strate
en strate, de découragements en enthousiasmes, nous permet d’assister à la
reconquête de son autonomie.
Porte-voix
n’est se réduit pas à un simple témoignage, il s’agit aussi d’un roman, tantôt
drôle (rencontre avec une orthophoniste aphone), tantôt tendrement ironique (l’auteur
rivalise avec ses petits-enfants nés après son AVC dans l’acquisition du
langage), tantôt émouvant (émission des premiers sons lui donnant l’impression
d’être « un instrument de musique
discordant ») écrit dans une langue réinventée qui a aussi le mérite
de mettre en place une véritable réflexion sur le langage.
Article publié dans le Matricule des Anges (janvier 2013)
Éditions Presque Lune, 112 pages, 13,50
€
J'ai beaucoup aimé ce roman en deux temps, séparés par cet accident cérébral et toute la difficulté de sa réappropriation du langage, ces longues années à essayer de contourner ce grand vide blanc dans sa tête et à compléter le roman qu'il avait commencé. C'est vraiment une leçon de vie et de courage qu'il nous donne à tous.
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