Noir, c’est noir
Éric Bonnargent
Messerschmidt, L'homme de mauvaise humeur |
Parce qu’il y a « des périodes qui engendrent le pessimisme
plus que d’autres », J.-M. Paul, qui a enseigné aux universités de
Dijon et d’Angers, a réduit son champ d’étude au XIXe siècle, une période de
résignation, suite aux espoirs suscités par la Révolution puis l’Empire.
Mais qu’est-ce que le pessimisme ?
Tout le monde croit le savoir : un état d’esprit qui prêterait plutôt à
sourire, une approche de l’existence tout aussi caricaturale que l’optimisme.
Ce dernier voit la vie en rose, le pessimisme la voit en noir : « En somme, le pessimisme et l’optimisme ne
seraient qu’une confusion dans la perception des couleurs. » Si le
pessimisme est ainsi caricaturé, c’est parce qu’il est très difficile à
appréhender, tant il se manifeste de manières différentes à travers la
philosophie, la littérature ou la poésie. Le grand mérite de cet ouvrage est
d’accepter cette polymorphie tout en cherchant à la dépasser. Sont analysés des
philosophes (Schopenhauer, von Hartmann, Kierkegaard…), des poètes (Baudelaire,
Mallarmé ou Leconte de Lisle) et des écrivains, essentiellement allemands
(Goethe, Gotthelf, Grillparzer…) et français (Musset, Flaubert, Huysmans…),
mais pas seulement, puisque des chapitres sont aussi consacrés à Byron, à
Dostoïevski, à Poe, à Leopardi et à la littérature scandinave (avec notamment
une magistrale étude sur Ibsen). L’étude de tous ces textes, souvent précédées
d’analyses biographiques pas forcément très pertinentes, permet à J.-M. Paul de
déterminer trois critères communs à tous les pessimismes : la négation de
l’idée de progrès (à ne pas confondre avec l’amélioration du confort, dont les
pessimistes se réjouissent toujours), une vision de l’histoire conçue comme la
« répétition désespérante du Mal »
et un dégoût de soi dû à cette souffrance permanente qu’est l’existence. J.-M.
Paul cite ainsi Moritz qui écrivait dans Anton
Reiser : « Il comprit
qu’aujourd’hui comme demain et tous les autres jours, il lui fallait se lever
avec son moi et se coucher avec lui, traîner à chaque pas ce moi odieux. »
Sans condescendance, J.-M. Paul note les dérives misogynes ou nationalistes de
certains auteurs et montre que « le pessimiste agit rarement en accord avec
sa philosophie », puisqu’il préfère vivre mal plutôt que de mettre fin
à ses jours. Même lorsqu’il se suicide, comme Stifter qui se trancha la gorge,
« ce n’est pas à sa vie qu’il met
fin mais à la mort. »
J.-M. Paul conclut par une analyse qui,
si elle est discutable, invite toutefois à la réflexion : l’Europe
d’aujourd’hui, plus encore que celle du XIXe siècle, est un terrain propice au
pessimisme. Les instincts de survie exacerbés par les guerres se sont éteints.
L’Europe et la France plus particulièrement, à propos de laquelle il dresse un portrait
dans la lignée de celui que brossait déjà Philippe Muray, sont entrées dans l’âge
du hochet : « Le temps du
pessimisme est celui du découragement, du désarroi, de la morne apathie et du
vide, celui par prédilection dans lequel le moraliste repère les stigmates de
la décadence. »
Du Pessimisme
De Jean-Marie Paul
Encre marine, 283 pages, 35 €
Article paru sous une forme un peu plus brève dans Le Matricule des Anges. Avril 2013
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