Le Poitevin de Pologne
Marc Villemain
Éditions Antidata |
Ce
qui est intéressant, et touchant, lorsqu’on lit un écrivain qui n’a que peu
confiance en lui, qui, même, éprouve un doute sincère et nullement coquet sur
sa qualité d’écrivain, ce n’est pas tant qu’on le sente dans chacun de ses
mots, mais que ce tourment puisse finir par constituer la matière première de son travail
d’écriture. C’est, très souvent, le cas de Bertrand Redonnet, qui poursuit donc,
à l’écart de la grande édition et de la France, son œuvre à mi-chemin entre la
fiction et le récit d’exil. Témoin ce recueil, où se manifestent concurremment son
rapport inquiet à l’écriture et le sentiment troublant d'un écart au monde.
De ce
rapport à l’écriture, on en sait tout de suite davantage dès la première phrase
du recueil, qu’il prend bien soin, non sans malice, de placer dans la bouche d’un
interlocuteur censé le conseiller : « Écrire
une forme brève qui ait de l’allure et du style n’est pas chose facile. »
La boucle sera d’ailleurs bouclée dans l’ultime nouvelle, au demeurant très
émouvante, qui décrit le gouffre mental où la difficulté d’écrire jette l’écrivain :
« et si je ne faisais, en fait, que
jouer à l’écrivain comme on jouait jadis à l’épicier quand nous étions enfants,
avec une planche pourrie en guise de comptoir, des cailloux, de vieilles boîtes
de conserve rouillées en guise de marchandises et des papiers chiffonnés en
manière de billets de banque ? » Redonnet ne joue pas à
l’écrivain, quoi que puisse en penser son narrateur. Rien, dans ce qu’il écrit,
n’est jamais affecté d’aucun souci de ce type, et l’on pourrait d’ailleurs aller
jusqu’à dire, non sans un goût certain pour le paradoxe, que ce souci de vérité,
ce rapport assez cru, presque rustique, à la matière littéraire, pourraient aussi
constituer une limite à son art. Qui est en fait, à bien des égards, l’art d’un
conteur – l’homme n’est pas sans raison un admirateur et un connaisseur émérites
de François Villon et de Georges Brassens. Le conteur peut être un grand lettré
qui s’ignore ; du moins veille-t-il toujours, par principe, par esthétique,
par moralité peut-être, à n’user que d’une matière qu’il aura malaxée avec sa
propre langue, sans souci de ses effets autres que de véracité et d’authenticité.
D’où, sans doute, l’impression que Bertrand Redonnet nous laisse de ne jamais assumer
complètement le statut de la fiction. C’est la seule chose, ici, qui m’aura un
peu gêné : alors même qu’il y a dans l’esprit de ces textes brefs quelque
chose qui par moments pourrait les rapprocher d’un certain réalisme magique, ou
d’une tonalité éparse qu’un Marcel Aymé aurait pu faire sienne, Redonnet s'obstine parfois à reprendre la main, contraint en lui ce qui pourtant y est indéfectiblement
tourné vers l’imaginaire, quitte, donc, à nous
arracher à notre rêverie. Probablement y a-t-il aussi ici quelque trace du
vieil anar qu’il est, et qui le conduit à détourner l’histoire de son
cheminement propre pour la lester d’observations à caractère plus social, voire
politique.
Ce
sera là mon unique réserve, car ces dix nouvelles, ou récits, jouissent de bien
d’autres qualités, dont la plus grande à mes yeux réside dans cette simplicité
à la fois joueuse et mélancolique où se résout toujours son écriture. Redonnet est
de ceux qui savent s’arrêter devant un paysage, un arbre, un visage, une
couleur, et en faire suinter en un tour de phrases ce que ces visions peuvent
avoir d’essentiel, de profondément intimes et poétiques. Il est aussi de ceux,
entre deux constats qu’assombrit le cours du monde, qui savent sourire
d’eux-mêmes et de leur propre gravité : avec lui, on n’est jamais bien loin
du brave soldat Chvéïk, prêchant l’innocence pour mieux sonder les reins et les
cœurs, jouant les candides pour mieux faire ressortir nos petits et très
humains travers.
Reste
que nulle lecture ne s’achève jamais sans impression sensible, et qu’au terme
d’un livre, pour peu qu’on en ait perçu le fil rouge, on sait bien, au fond, de
quoi il y a été question. Et son sujet, à Redonnet, son sujet conscient autant
que son sujet souverain, c’est l’exil. Chez ce Poitevin d’extraction et de sang
qui, il y a quelques années de cela, choisit finalement la campagne polonaise
pour s’établir, l’exil est partout, et bien loin d’être seulement géographique.
Son blog personnel n’est pas pour rien baptisé L’exil des mots : l’exil, c’est aussi ce sentiment persistant,
incessant, stimulant sans doute mais accablant toujours, d’être peu à l’aise
nulle part, pas plus dans son temps que dans son pays ou sa langue. Au-delà de
ses petites imperfections, c’est ce qui fait tout le charme, délicat, généreux,
de ces textes. C’est en tout cas la tonalité que je retiendrai de ce Théâtre des choses, dont Bertrand
Redonnet extrait la substance à la fois naïve, fragile et profondément humaine.
Découvrir ici le blog de Bertrand Redonnet
Découvrir ici le blog de Bertrand Redonnet
Il émane de l'ensemble de ces nouvelles une rigueur dont se demande si elle émane d'une discipline ou d'une disposition naturelle de l'esprit de l'auteur. Le recueil se balance délicatement entre deux zones géographiques, si bien qu'on finit par canoter sur le Bug et souquer ferme sur l'océan Atlantique.
RépondreSupprimerRedonnet nous plonge dans un agréable sentiment d'insécurité : on s'interroge à savoir s'il s'agit de dualité ou de binarité, d'alternance ou de complémentarité; de l'homme exulte une force de vie inébranlable, de l'auteur une dislocation articulée entre failles, foulures et entorses de l'âme. Une discipline sur la construction littéraire et une écriture aux couleurs de la rebellion, la substance d'un vocabulaire précis, fouillé, et un langage vert, salé, des projections et des rétroprojections du désir et de la frustration. Un auteur méticuleux sans le savoir ou qui n'oserait se l'avouer ?
On sent l'odeur de récits de vie mis sur lie, où la fiction joue le rôle de tenons et mortaises, avec force habileté : «La Souricière» et «Seul au monde» illustrent au mieux cette impression. L'auteur a l'art de stimuler l'imagination et de canaliser l'imaginaire où il instille des vapeurs de soufre, grâce à des détails absolument succulents. On jouit littérairement à l'idée s'allonger pour «regarder l'envers des feuilles», on s'arrête devant la description des mains de Cigogneau et l'on savoure cet art de... la métaphore ou de la compraison figurative ?
Redonnet nous régale de son art de la personnification qu'il pratique avec élégance, sur le terreau que partagent toutes ces nouvelles, un terreau fait d'un terroir d'origine et d'un terroir où son âme est frappée du poinçon de l'exil volontaire : joliesse et mélancolie. Serait-ce donc cela, ce sentiment si intime que le vague à l'âme ? Et pourtant, toutes ces nouvelles ont pour cadre, le dehors ?