mercredi 25 janvier 2012

Frédéric Schiffter, Traité du cafard

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Intraitable cafard
Marc Villemain

Éditions Finitude
Ce qu’il y a de réconfortant avec les philosophes, c’est qu’ils nous ressemblent. J’ignore si philosopher, c’est à apprendre à vivre ou apprendre à mourir : je ne suis pas philosophe. Ce que je sais, c’est que le philosophe est tout aussi encombré que nous autres, esprits faibles et prosaïques, lorsqu’il s’agit de « s’affairer dans le monde sensible », et donc tout autant sujet au cafard, disposition fort peu cartésienne s’il en est. En d’autres termes, la pratique assidue de la pensée philosophique n’exempte personne de l’état de perplexité dans lequel se tourmente le commun – voire le décuple. Frédéric Schiffter confesse d’ailleurs, dès les premières pages, qu’il n’a « aucun sens de l’existence. » L’on comprend mieux, alors, et son cafard, et ce qui finalement continue de mouvoir le bonhomme : « Lire ou dormir, deux manières, chez moi, d’opposer au monde une fin de non-recevoir. » Nous sommes quelques-uns à pouvoir nous reconnaître dans ce contemplatisme-là, et, comme Schiffter, à concevoir que l’on puisse se vivre comme « un romantique conquis par l’exotisme de la routine. »

C’est qu’il y a du dandy chez Schiffter. Ce qui rend sa prose sémillante, et parfois joueuse. A l’excès, parfois, tant son cafard, sensible, indiscutable, parfois lyrique, peut alors prêter à sourire, perdant au passage un peu de sa puissance contagieuse. Affirmer d’un trait que « l’homme est une catastrophe naturelle » ou que « l’élégance est un habit trop grand pour l’homme », nous nous en passerions bien : ce n’est pas de son niveau, et le jeu du dicton risque de nous faire passer à côté de ce que son cafard peut avoir de viscéral. L’on peut préférer, ici, un André Blanchard, dont l’authenticité est plus mordante, ou moins ornée. Encore une fois, le diariste ou l’aphoriste mélancolique n’est jamais aussi bon que lorsqu’il retourne les armes contre lui. Alors Schiffter excelle, et son humour un peu désespérant tombe avec une tout autre justesse : « Mes moments perdus me consolent du temps que l’on me vole. » L’être amer a la lucidité à fleur de peau, il éprouve « la finitude de tout avec le flegme d’un écorché vif. » Et se dénoue dans de prometteuses saillies, moins contradictoires qu’il y paraît : « Le drame des types comme moi qui ne veulent pour rien au monde être pris au sérieux, est, justement, qu’on exauce leur vœu. »

Article paru dans Le Magazine des Livres, n° 4, mai/juin 2007

5 commentaires:

  1. livre bientôt dans mon cabas du réseau bibliothèque réservé ce moment précis.

    tentatives d’étirement du français figé et le mot Absolu, entre autres, dans le labyrinthe-seuil, j'ai très envie de revoir l'idée d'ENTRESOL à partir de ce que je viens de lire et j'ajoute : Envisageons dès lors la possibilité d'une absolutisation dont le premier objectif serait l'abolition de l'Absolu, au nom même des entrelacs inextricables, des nuits émeraude où le néant patiente, et des eaux porteuses de vie nouvelle. in p 81 Clinamen Flux, absolu et loi spirale de Frédéric Neyrat

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    1. Incompréhensible. Encore un livre à ne pas acheter.

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    2. Je précise : le bouquin de Neyrat, pas celui de Schiffter.

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    3. Entresol littéraire : Ce n'est pas philosopher qui est apprendre à mourir. C'est vivre de multiples vies dans des personnages dérobés et surnuméraires. Les vivre et les laisser. in p 77 So long, Luise, Céline Minard

      Plurivers dit-elle.

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  2. Il faudrait aussi rappeler le ratage formidable que constitue l'ouvrage "Contre Debord" que Frédéric Schiffter a commis il y a quelques années (2004) ; ce livre est un tel condensé de contresens, de méconnaissance et d'incompréhension abyssale qu'on le croirait écrit par un prof de philosophie d'un lycée de province !

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