vendredi 9 novembre 2012

Hemingway et Monterroso



En bref
Éric Bonnargent

La nouvelle la plus courte de l’histoire est l’œuvre d’Ernest Hemingway. Il existe différentes  versions de sa généalogie. Celle que je préfère, et que je tiens donc pour vraie, raconte que lors d’une soirée en présence d’autres écrivains chez son éditeur, celui-ci aurait proposé à ses invités d’écrire le texte le plus court possible ayant le maximum d’intensité dramatique. Hemingway remporta le jeu avec un texte de six mots :

« For sale : baby shoes, never worn. »

D’autres écrivains, dont Richard Powers, se sont essayés à ce jeu (ici). Hemingway considérait qu’il s’agissait là de sa meilleure nouvelle. Je n’apprécie guère les romans d’Hemingway, mais je trouve ses nouvelles captivantes de par leur construction. Hemingway les écrit en négatif. Elles se résument souvent à de simples descriptions, à de courts dialogues : à de l’inessentiel, à un inessentiel permettant de mieux nous faire ressentir toute la charge dramatique liée à la situation, aux personnages. En ce sens, « For sale: baby shoes, never worn » est caractéristique de l’art d’Hemingway. Ces six petits mots révèlent un drame des plus terribles, la mort d’un enfant, drame d’autant plus terrible que les parents vendent ces chaussures. Ils auraient pu les garder, les jeter, mais non, ils les vendent. Pourquoi ? Aucune raison satisfaisante ne me vient…
C’est dans les Œuvres complètes et autres contes de l’écrivain guatémaltèque Augusto Monterroso que l’on peut trouver Dinosaure, le conte le plus court :

« Cuando despertó, el dinosaurio todavía estaba allí. »

Monterroso est connu pour la brièveté de ses textes. Ce conte montre, comme le faisait la nouvelle d’Hemingway, à quel point un texte bref suscite l’interprétation. Qui est ce « il » qui se réveille ? Pourquoi le dinosaure est-il « encore » là ? Où est ce « là » ? Était-il déjà « là » lorsque « il » s’est endormi ou n’était-il présent que dans son rêve ? Auquel cas, que fait-il ici dans la réalité ?
Le texte long est souvent d’inspiration totalitaire : il oblige le lecteur à penser ceci ou cela, à se représenter les personnages, les lieux, etc. de telle ou telle façon. Le texte court est toujours fascinant parce qu’il provoque l’imagination du lecteur qui doit se débrouiller, seul.

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