mercredi 20 mars 2013

Hanno Millesi, Mythographes


Histoire et faits divers
Éric Bonnargent

George Grosz, Un conte d'hiver
Tapi dans l’ombre, un revolver à la main, le narrateur se souvient du processus qui l’a mené à attendre Allmeyer, son jeune collègue historien, pour le tuer. Quelques mois auparavant, il éprouvait encore de la sympathie pour cet homme qui était le seul à s’intéresser à ses recherches sur l’austrofascisme dans l’Entre-deux-guerres. Tandis que lui ne publie que dans un journal local, qu’il mendie une intervention à l’Université, Allmeyer fait la couverture de la plus prestigieuse des revues, multiplie les conférences, est nommé professeur et finit par faire de Francesca, la belle libraire dont le narrateur est secrètement amoureux, sa maîtresse. La suffisance avec laquelle Allmeyer parle de ses succès et la condescendance dont il fait preuve à son égard finissent par le rendre fou de haine. En le tuant, il le fera taire et en profitera, sous couvert d’éloges, pour pointer la faiblesse de ses thèses. 
Un parti pris méthodologique est à l’origine du succès d’Allmeyer. Ses textes sont une « attaque contre toute une génération d’érudits et de savants qui ont déjà travaillé et travailleront encore sur la thématique » car il consiste à « mettre l’accent sur l’individu » en utilisant des témoignages isolés sans mise en perspective. Une « vision rétrécie » séduit bien plus que « le pavé de l’érudit, nourri, rassasié de centaines de milliers de documents. » Allmeyer n’est qu’un mythographe : au lieu de dire l’histoire, il raconte des histoires. Les travaux scientifiques sont condamnés au silence parce qu’ils éclairent le présent par le passé et que personne ne veut voir comment « sont nées alors des structures qui perdurent aujourd’hui encore du fait même qu’on a préféré les oublier plutôt que d’en tirer un enseignement. »
Romancier autrichien lauréat de nombreux prix littéraires, Hanno Millesi signe avec Mythographes un roman protéiforme, à la fois roman policier, essai d’épistémologie, livre d’histoire, réflexion sur la résurgence du fascisme et sur les conditions du succès dans une Autriche qui ne veut rien voir, rien entendre et rien dire de son passé. 


 
Éditions Absalon, traduit de l’allemand (Autriche) par Valérie de Daran, 206 pages, 19, 50 € 






Article paru dans Le Matricule des Anges. Février 2013

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