Au fond du trou
Éric Bonnargent
Magritte, Le Balcon de Manet |
Né en 1939 et récompensé en 2009 par le Prix Médicis pour Mémoire d’un fou d’Emma, Alain Ferry n’est pas de ceux qui rêvent d’immortalité. Modeste, son souhait le plus cher serait de bénéficier « d’un délai de conscience et de mémoire loisible aux heures de mon enterrement. » Du fond de sa tombe, dans son cercueil vitré, il assiste au défilé de ceux qui sont venus le saluer une dernière fois : sa femme, ses enfants, son frère, ses amis, plus ou moins proches, plus ou moins perdus de vue, mais aussi les inévitables fâcheux. À chacun d’eux, et ils sont une cinquantaine, Ferry consacrera un chapitre.
Avant cela, il se pose une question : « en quelle langue un mort se parle-t-il, ou voudrait nous parler à nous, ses semblables d’hier ? » Entre le flux de conscience qu’emploie Faulkner dans Le Bruit et la fureur pour ces presque morts que sont Benjy et Quentin Compson et la spontanéité chère à B.S. Johnson, l’auteur hésite puis décide de conserver l’artifice de l’écriture ordonnée car « l’office de l’art est d’ordonner les choses qui dans la vie naissent sans qu’on discerne leur principe unificateur. » La parenté entre la langue et la mort est plus étroite qu’on ne le croit : « le mot c’est la mort sans en avoir l’R. » Quant à la forme, Ferry décide d’utiliser des procédés cinématographiques : zoom, fondu noir enchaîné afin de réaliser « un film rétrospectif écrit à la dérive et réalisé par la vie même, avec ma bibliothèque comme premier assistant, un film d’art et de décès, du genre rhapsodique. »
Ferry ne rédige pas ses mémoires et il n’y a d’ailleurs aucune trace d’égotisme dans ses pages : il sait que sa biographie est « sans histoires, sans exploits légendaires dignes d’être fixés dans un cahier mémorial. » Lorsqu’il parle de lui, de sa jeunesse en Algérie ou de ses amours, c’est toujours presque par accident. Ferry ne parle même pas de ses livres car, comme Borges, rappelle-t-il, il est plus fier des phrases qu’il a lues que de celles qu’il a écrites. Ferry n’hésite d’ailleurs pas à citer et à citer encore car, comme l’écrivait Butor, « utiliser une citation, ce n’est pas seulement rendre hommage à un auteur qu’on aime : c’est éclairer notre propre naissance, le sous-sol de la maison que l’on construit. » Chaque personne présente donne l’occasion à Ferry de rendre hommage à l’art sous toutes ses formes : à la chanson (Serge Gainsbourg, Leonard Cohen, Bertrand Cantat…), à la peinture (Courbet, Goya, Duchamp…), au cinéma (Bresson, Cassavetes, Tarentino…), mais surtout à la littérature puisqu’il évoque aussi bien Montaigne, Flaubert et Bergounioux que Cervantès, Sebald et Pessoa.
Le style de Ferry est à son image, sensuel et gourmand, et il fallait bien cela pour remercier la vie de lui avoir donné ce qu’il y a de plus précieux : l’amour, l’amitié et l’art. « Ma sépulture, écrit-il, c’est aussi l’enterrement de ma bibliothèque. » Avec Rhapsodie pour un librique défunt, Ferry montre qu’il est ou a été un grand lecteur et un grand écrivain.
Avant cela, il se pose une question : « en quelle langue un mort se parle-t-il, ou voudrait nous parler à nous, ses semblables d’hier ? » Entre le flux de conscience qu’emploie Faulkner dans Le Bruit et la fureur pour ces presque morts que sont Benjy et Quentin Compson et la spontanéité chère à B.S. Johnson, l’auteur hésite puis décide de conserver l’artifice de l’écriture ordonnée car « l’office de l’art est d’ordonner les choses qui dans la vie naissent sans qu’on discerne leur principe unificateur. » La parenté entre la langue et la mort est plus étroite qu’on ne le croit : « le mot c’est la mort sans en avoir l’R. » Quant à la forme, Ferry décide d’utiliser des procédés cinématographiques : zoom, fondu noir enchaîné afin de réaliser « un film rétrospectif écrit à la dérive et réalisé par la vie même, avec ma bibliothèque comme premier assistant, un film d’art et de décès, du genre rhapsodique. »
Ferry ne rédige pas ses mémoires et il n’y a d’ailleurs aucune trace d’égotisme dans ses pages : il sait que sa biographie est « sans histoires, sans exploits légendaires dignes d’être fixés dans un cahier mémorial. » Lorsqu’il parle de lui, de sa jeunesse en Algérie ou de ses amours, c’est toujours presque par accident. Ferry ne parle même pas de ses livres car, comme Borges, rappelle-t-il, il est plus fier des phrases qu’il a lues que de celles qu’il a écrites. Ferry n’hésite d’ailleurs pas à citer et à citer encore car, comme l’écrivait Butor, « utiliser une citation, ce n’est pas seulement rendre hommage à un auteur qu’on aime : c’est éclairer notre propre naissance, le sous-sol de la maison que l’on construit. » Chaque personne présente donne l’occasion à Ferry de rendre hommage à l’art sous toutes ses formes : à la chanson (Serge Gainsbourg, Leonard Cohen, Bertrand Cantat…), à la peinture (Courbet, Goya, Duchamp…), au cinéma (Bresson, Cassavetes, Tarentino…), mais surtout à la littérature puisqu’il évoque aussi bien Montaigne, Flaubert et Bergounioux que Cervantès, Sebald et Pessoa.
Le style de Ferry est à son image, sensuel et gourmand, et il fallait bien cela pour remercier la vie de lui avoir donné ce qu’il y a de plus précieux : l’amour, l’amitié et l’art. « Ma sépulture, écrit-il, c’est aussi l’enterrement de ma bibliothèque. » Avec Rhapsodie pour un librique défunt, Ferry montre qu’il est ou a été un grand lecteur et un grand écrivain.
Article paru dans Le Matricule des Anges. Mars 2013.
Alain Ferry, Rhapsodie pour un librique défunt. Apogée, 349 pages, 22 €
Tiens, tiens, il aurait peut-être été utile de signaler l'origine de l'aphorisme « Le mot, c'est la mort sans en avoir l'R ». Il vient des Notes, il est vrai peu connues, d'Adlphe Ripotois, partiellement publiées par Michel Arrivé dans Les remembrances du vieillard idiot?
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