Dionysos
Strauss-Kahn
Éric Bonnargent
Jan Fabre, Autoportrait |
De
l’affaire Dominique Strauss-Khan, Juan Francisco Ferré tire un roman magistral,
une farce cruelle et drôle sur les arcanes du pouvoir. Nulle trace ici de « réalité
augmentée » : Karnaval est
bien un roman (récompensé en 2012 par le prix Herralde) et, loin d’être une
tragédie, est même une comédie, tel qu’on en jouait en Grèce au moment des
dionysies dont le carnaval moderne est issu.
L’ancien président du FMI, « le dieu K », est présenté comme un homme d’autant plus asservi à son sexe que, tout-puissant, rien ne peut réfréner ses désirs. Wendy, son escort préférée, le définit parfaitement : « DK est à la tête de cette légion de verges, circoncises ou non, qui nous visent sans arrêt, dans la rue et au boulot, dans le métro et l’autobus, à l’intérieur et à l’extérieur de la maison. Toute femme se sait surveillée par cette batterie de bites engourdies. Peu importe, on n’est pas dupes. On fait juste semblant, par pure commodité. »
Bouffon pathétique, d’abord persuadé de son immunité (« les lois des hommes, se disait-il, ne sont pas en mesure de me juger »), il déchante et multiplie les versions des événements, toutes plus grotesques les unes que les autres. Il affirme, par exemple, que son sexe s’est faufilé malgré lui dans la bouche de sa victime (jamais nommée) ou encore qu’il a lui-même été violé. Les versions se multiplient, plus drôles les unes que les autres.
Nafissatou Diallo est présentée dans toute sa complexité, à la fois « la nouvelle reine de New York » et victime de « la violence des hommes, celle-là même que leurs corps inflige aux femmes depuis la nuit des temps ». C’est pourtant par cette simple femme de ménage, émigrée africaine, que ce grand va devenir doublement impuissant : politiquement et sexuellement. Son épouse, Nicole, fera alors tout pour soigner son mari, notamment en organisant une séance d’exorcisme au cours de laquelle il expulsera par l’anus des œufs multicolores…
Ce dernier n’est cependant pas seulement présenté comme un personnage grotesque. Il est aussi un grand économiste, « un individualiste doté de conscience morale » qui verse « des larmes socio-démocrates face à l’ampleur de la tragédie grecque : la débâcle morale, le pillage implacable de la dévastation d’un pays et de sa population. »
Même dans les situations les plus scabreuses, le dieu K est obsédé par l’économie et, dans ses délires, il rêve d’autres mondes possibles où la propriété privée serait abolie, d’« un régime hybride fait de socialisme et de capitalisme, totalitaire et pleinement démocratique à la fois. ».
Karnaval est aussi un roman engagé condamnant par l’intermédiaire de DK « la dictature capitaliste » dirigée par un mystérieux Empereur, cynique et arrogant, qui a créé la crise afin d’« organiser à la vue et au su de tous, sans se cacher, une fuite de capitaux monumentale, un transfert multimillionnaire des poches rétrécies de la classe moyenne vers les bourses gonflées des plus riches, en faisant croire à une grande faillite du système bancaire et financier. »
La crise est considérée comme un leurre, comme « le plus grand braquage de l’histoire. » C’est l’un des écueils de ce roman : la condamnation du capitalisme est omniprésente, peut-être trop, et sombre parfois dans la caricature. La description du QG de l’Empereur, rempli d’homoncules à son image n’est, en effet, pas sans rappeler la guignolesque World company… Le texte est d’ailleurs ponctué d’épitres aux grands hommes et grandes femmes, à Obama, Sarkozy, Trichet… dans lesquels le dieu K expose ses théories.
L’une d’elles, adressée à Christine Lagarde, constitue avec par exemple le récit du voyage secret avec François Mitterrand à Berlin-Est ou l’affrontement sur un ring de catch avec sa victime l’un des passages les plus drôles et les plus désopilants de ce roman. DK y raconte l’une de ses soirées tout de cuir vêtu dans un club homo interlope de New York, puis sa visite d’un établissement spécialité tenu par des chevaux dans lequel les grands de ce monde viennent subir des traitements zoophiles…
Dans la partie centrale, intitulée « Le trou et le ver », la virtuosité de l’auteur s’exprime pleinement. Elle se présente sous forme d’un documentaire dans lequel des personnalités sont invitées à donner leur point de vue sur l’affaire. Mis à part Lady Gaga, elles sont toutes issues du monde intellectuel et Ferré les parodie de manière irrésistible. Qu’il s’agisse de Chomsky qui voit dans cette affaire « l’échec de tout humanisme », de Beatriz Preciado qui voit en DK « un homosexuel moléculaire », de Bell Hooks, la féministe afro-américaine, qui voit dans la couleur de peau et non dans le sexe l’origine de l’incident, tous sont parodiés de manière irrésistible, notamment les nombreux français, Sollers, Houellebecq, Onfray… Mais c’est Philip Roth, l’auteur de La Tache, inspirée de l’affaire Lewinsky, qui résume finalement le mieux les choses : « Le vrai problème, ici comme ailleurs, c’est la bite. »
L’ancien président du FMI, « le dieu K », est présenté comme un homme d’autant plus asservi à son sexe que, tout-puissant, rien ne peut réfréner ses désirs. Wendy, son escort préférée, le définit parfaitement : « DK est à la tête de cette légion de verges, circoncises ou non, qui nous visent sans arrêt, dans la rue et au boulot, dans le métro et l’autobus, à l’intérieur et à l’extérieur de la maison. Toute femme se sait surveillée par cette batterie de bites engourdies. Peu importe, on n’est pas dupes. On fait juste semblant, par pure commodité. »
Bouffon pathétique, d’abord persuadé de son immunité (« les lois des hommes, se disait-il, ne sont pas en mesure de me juger »), il déchante et multiplie les versions des événements, toutes plus grotesques les unes que les autres. Il affirme, par exemple, que son sexe s’est faufilé malgré lui dans la bouche de sa victime (jamais nommée) ou encore qu’il a lui-même été violé. Les versions se multiplient, plus drôles les unes que les autres.
Nafissatou Diallo est présentée dans toute sa complexité, à la fois « la nouvelle reine de New York » et victime de « la violence des hommes, celle-là même que leurs corps inflige aux femmes depuis la nuit des temps ». C’est pourtant par cette simple femme de ménage, émigrée africaine, que ce grand va devenir doublement impuissant : politiquement et sexuellement. Son épouse, Nicole, fera alors tout pour soigner son mari, notamment en organisant une séance d’exorcisme au cours de laquelle il expulsera par l’anus des œufs multicolores…
Ce dernier n’est cependant pas seulement présenté comme un personnage grotesque. Il est aussi un grand économiste, « un individualiste doté de conscience morale » qui verse « des larmes socio-démocrates face à l’ampleur de la tragédie grecque : la débâcle morale, le pillage implacable de la dévastation d’un pays et de sa population. »
Même dans les situations les plus scabreuses, le dieu K est obsédé par l’économie et, dans ses délires, il rêve d’autres mondes possibles où la propriété privée serait abolie, d’« un régime hybride fait de socialisme et de capitalisme, totalitaire et pleinement démocratique à la fois. ».
Karnaval est aussi un roman engagé condamnant par l’intermédiaire de DK « la dictature capitaliste » dirigée par un mystérieux Empereur, cynique et arrogant, qui a créé la crise afin d’« organiser à la vue et au su de tous, sans se cacher, une fuite de capitaux monumentale, un transfert multimillionnaire des poches rétrécies de la classe moyenne vers les bourses gonflées des plus riches, en faisant croire à une grande faillite du système bancaire et financier. »
La crise est considérée comme un leurre, comme « le plus grand braquage de l’histoire. » C’est l’un des écueils de ce roman : la condamnation du capitalisme est omniprésente, peut-être trop, et sombre parfois dans la caricature. La description du QG de l’Empereur, rempli d’homoncules à son image n’est, en effet, pas sans rappeler la guignolesque World company… Le texte est d’ailleurs ponctué d’épitres aux grands hommes et grandes femmes, à Obama, Sarkozy, Trichet… dans lesquels le dieu K expose ses théories.
L’une d’elles, adressée à Christine Lagarde, constitue avec par exemple le récit du voyage secret avec François Mitterrand à Berlin-Est ou l’affrontement sur un ring de catch avec sa victime l’un des passages les plus drôles et les plus désopilants de ce roman. DK y raconte l’une de ses soirées tout de cuir vêtu dans un club homo interlope de New York, puis sa visite d’un établissement spécialité tenu par des chevaux dans lequel les grands de ce monde viennent subir des traitements zoophiles…
Dans la partie centrale, intitulée « Le trou et le ver », la virtuosité de l’auteur s’exprime pleinement. Elle se présente sous forme d’un documentaire dans lequel des personnalités sont invitées à donner leur point de vue sur l’affaire. Mis à part Lady Gaga, elles sont toutes issues du monde intellectuel et Ferré les parodie de manière irrésistible. Qu’il s’agisse de Chomsky qui voit dans cette affaire « l’échec de tout humanisme », de Beatriz Preciado qui voit en DK « un homosexuel moléculaire », de Bell Hooks, la féministe afro-américaine, qui voit dans la couleur de peau et non dans le sexe l’origine de l’incident, tous sont parodiés de manière irrésistible, notamment les nombreux français, Sollers, Houellebecq, Onfray… Mais c’est Philip Roth, l’auteur de La Tache, inspirée de l’affaire Lewinsky, qui résume finalement le mieux les choses : « Le vrai problème, ici comme ailleurs, c’est la bite. »
Alors, s’il est vrai qu’il y a parfois
quelques longueurs, notamment dans les chapitres consacrés à la vie libertine
du dieu K, Karnaval est un grand roman
qui se sert de cette mascarade médiatique pour dénoncer un système et tous ceux
qui ont voué aux gémonies un homme qui, grâce à sa puissance, a pu réaliser les
fantasmes qu’ils dissimulent sous un masque de vertu.
Article paru dans Le Matricule des Anges. Février 2014.
Karnaval
De Juan Francisco Ferré
Traduit de l’espagnol par Inés Introcaso
et Brigitte Jensen
Passage du Nord-Ouest. 621 pages. 24 €
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire