lundi 1 juillet 2013

Le Visage vert, n°22

Des fantômes, peurs et lycanthropes, et de quelques détectives...

Romain Verger


Gustave Doré, La légende du Croque-Mitaine.
Tout en restant fidèle à sa réputation de revue dédiée aux littératures de l’imaginaire, cette livraison du Visage vert ne décline aucune thématique spécifique. Sans doute fait-elle la part un peu plus belle au genre policier et à la figure du détective. Ainsi, L’affaire de l’étui à cigares de Bret Harte (1900), Une mystérieuse histoire de détective de Stephen Leacock (une nouvelle aussi brève que savoureuse parue en 1916) et le dossier que François Ducos consacre à l’hybridation des genres policier et fantastique outre-Rhin s’en font-ils l’écho. En s’appuyant sur une impressionnante recension de films des années 60 plus ou moins directement inspirés des livres du romancier Edgar Wallace et de fascicules populaires d’horreur surnaturelle parus entre 1970 et les années 90, dont Parker, Larry Brent ou Monstrula sont quelques exemples, François Ducos suit l’émergence, puis l’engouement populaire pour ces histoires mêlant l’horreur, le bizarre et l’enquête criminelle. Une mine que producteurs et éditeurs français et allemands exploiteront jusqu’à épuisement.

Le reste est joyeusement éclectique : Michel Meurger consacre une étude à la lycanthropie. En marge de la réduction fréquente de la figure du garou à la seule problématique de la métamorphose, il questionne les origines du phénomène en ses deux extrémités : le loup déviant qui délaisse le gibier pour la chair humaine et le sylvaticus médiéval, homme tournant le dos à l’humanité et à la société pour s’ensauvager dans la forêt. Dès lors, il en faudra peu pour que l’imaginaire populaire et le fantasme en assimilent les figures pour livrer la lycanthropie à la sorcellerie et à la répression.

Plusieurs nouvelles méritent également le détour, à commencer par Mon ami Hermann de Lucien Prévost-Paradol (parue en 1858), qui pourrait avoir inspiré L’étrange cas du Dr Jekyll et Mr. Hyde et, à défaut, entrer en correspondance avec le dédoublement du William Wilson d’Edgar Poe. Le narrateur y expose le cas d’un ami allemand dont l’existence se dédouble la nuit. Dès son entrée en sommeil (un sommeil qui s’apparente physiquement à la mort), son esprit migre dans le corps d’un Australien pour y accomplir les pires méfaits, aux antipodes de ses dispositions diurnes. À la différence de la célèbre nouvelle de Stevenson, la schize est ici spatiale, culturelle et corporelle.

L’extincteur à fantômes
de Gelett Burgess (parue en 1905) est une nouvelle pour le moins cocasse. Anticipant de près d’un siècle le film S.O.S. Fantômes d’Ivan Reitman (1984), elle raconte l’invention d’un habitant de San Francisco pour exterminer les fantômes : un extincteur inspiré d’une méthode japonaise qui «les fait passer de l’état raréfié ou semi-spirituel dans lequel ils se trouvent, à l’état de matière». L’homme, qui tire d’abord profit de cet assainissement du marché immobilier, déchantera dès lors que son ambition le poussera à conquérir le marché britannique. Les aristocrates (en dignes précurseurs de Lord Canterville) ne sont pas prêts à voir s’évaporer les fantômes qui font la réputation de leurs manoirs.

L’Argonaute et la Sirène, de Camille Mauclair (1903) est une curieuse nouvelle teintée d’accents helléniques, de mythologie, dont la langue emprunte tant au romantisme qu’au symbolisme. Cyrnos, un matelot argien, s’éprend d’une sirène. Et de cette passion aux charmes partagés, nous suivons les phases jusqu’à la fusion : 

«C’étaient des pénétrations mutuelles, des spasmes irréels, deux coulées de vie infinie s’avançant l’une vers l’autre et se mêlant. Ce qu’il y avait d’animal dans la fille de la mer subissait la suprématie de l’homme, et ce qu’il y avait en elle de divin dominait la raison de l’homme redevenu créature animale. L’échange s’accomplissait avec les heures. Leurs baisers matériels leur en semblaient simplement le signe, ils scellaient avec leurs bouches une double et secrète urne de pensées que leur silence avait emplie jusqu’au bord. Et ils soupiraient selon le rythme de la mer.»

Enfin, La peur (1833) de Rodolphe Töpffer, considéré pour sa «littérature en estampes» et ses récits de voyages illustrés comme le précurseur, voire l’inventeur de la bande dessinée, livre un regard des plus intéressant sur la constitution psychique de la peur : 

«Et vous, n’eûtes-vous jamais peur ? le soir, autour de l’église, à l’écho de vos pas ; la nuit, au plancher qui craque ; en vous couchant, lorsqu’un genou sur le lit vous n’osiez retirer l’autre pied, crainte que, de dessous, une main... Prenez la lumière, regardez bien : rien, personne. Posez la lumière, ne regardez plus : il y est de nouveau. C’est de celui-là que je parle.»
Une de mes nouvelles (Le Château) figure également au sommaire de ce numéro.

Le Visage vert, n°22, juin 2013. 17 €







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